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Dans les dédales du Delirium Circus : une relecture du labyrinthe robbe-grillétien SOPHIE BEAULÉ Université Saint Mary’s, Halifax (Canada) D ans Le Voyeur, Mathias est perdu devant l’affiche du film «Monsieur X. sur le double circuit » (V : 167), ne comprenant ni le titre ni l’image. On pourrait interpréter ce titre à la lumière de motifs qui parcourent l’œuvre de Robbe-Grillet. Monsieur X., ce personnage minimaliste , est enfermé dans un circuit tant spatial que mental; ne regarde-t-il pas intensément la scène de l’affiche, c’est-à-dire un abyme de la violence cristallisée sur la sexualité ? Ce double circuit se révèle en fait d’essence labyrinthique. Dans l’œuvre d’Alain Robbe-Grillet, le chronotope du labyrinthe concentre des motifs et des procédés formels présents tant dans l’avant-garde que dans les littératures de genre, et actualise certains idéologèmes ayant cours dans le discours social des années 1950 à 1970. On sait que parce qu’il exprime l’indissolubilité de l’espace et du temps, le chronotope incarne d’après Mikhaïl Bakhtine le roman entier; il apparaît essentiel à l’unité artistique d’une œuvre littéraire dans ses rapports avec la réalité. De là, il désigne l’univers humain et sa représentation dans une période et un espace donné. «Tous les éléments abstraits du roman, généralisations philosophiques et sociales, idées, analyse des causes et des effets, et ainsi de suite, gravitent autour du chronotope et, par son intermédiaire, prennent chair et sang et participent au caractère imagé de l’art littéraire.»128 Le chronotope du labyrinthe permet d’abord de transcoder l’idéologème de la société anomique et déréalisée par la «société du spectacle »129. Il véhicule en outre l’idéologème de l’individu baignant plongé dans le «delirium circus » de son identité disloquée ainsi que dans celui de la mémoire vacillante, personnelle et collective. Nous nous intéresserons ici au labyrinthe spatiotemporel et au dédale intime du personnage comme transcodage de l’idéologème de la crise de l’individu dans le capitalisme moderne. Les thèses de Gilles Deleuze et de Félix Guattari dans L’Anti-Œdipe130 proposent une expression féconde de cet idéologème; elles nous serviront de fil conducteur pour analyser le chronotope dans la fiction robbe-grillétienne et les littératures de genres. Les avant-gardes empruntent souvent au populaire, suivant en cela des postures anti-institutionnelles qui contribuent à régénérer la sphère restreinte. Les littératures de genre véhiculent de façon moins distanciée que la littérature de sphère restreinte les différents topoï à l’œuvre dans le discours social. Elles fournissent en outre Horizons épistémocritiques 373 des contenus fictionnels et des stratégies narratives fortes. Sans doute est-ce pour cette raison que Robbe-Grillet y puise matière à sa fiction: «le roman noble [fonctionne] sur un univers relativement pauvre en possibilités; d’où les emprunts faits par la littérature “générale” aux genres, source d’extension des possibilités narratives »131. Le labyrinthe spatiotemporel Ce qui frappe tout d’abord dans l’espace robbe-grillétien, c’est sa ressemblance avec des images stéréotypées ou exotiques présentes dans les littératures de genre. À l’instar des autres espaces, la ville robbe-grillétienne apparaît sombre et dangereuse, comme en témoignent les édifices incendiés (PRNY), les ruines (TCF), les scènes de violence dans les terrains vagues ou le métro (PRNY). Ses vitrines et portes cachent les cellules de sociétés secrètes (PRNY, D), ses hôtels accueillent les couples adultères (J), et des rues suinte la menace des bandes de jeunes (STO), des robots et êtres paratemporels (D), des troubles politiques (R) ou encore du camp ennemi (DL). Parmi les clichés spatiaux, l’exotisme occupe aussi une place de choix. Le cadre de Projet se situe à New York, celui de La Jalousie en Afrique et celui de La Maison de rendez-vous dans un Hong Kong de cinéma. Souvenirs du triangle d’or, de son côté, place son intrigue dans une ville d’Amérique du Sud partiellement dévastée par la guerre...

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