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La vérité si je mens, ou le ludique à l’épreuve du réalisme ANDRÉ GARDIES Université Lumière - Lyon 2 (France) X: Si vous ne pouvez pas perdre, ce n’est pas un jeu. M: Je peux perdre, mais je gagne toujours. (L’Année dernière à Marienbad ) C ’est par une porte étroite et plutôt dérobée que je vais m’avancer dans ce vaste territoire qu’est l’œuvre d’Alain Robbe-Grillet, en me référant , en une façon d’exergue, à ce «picto-roman»67 singulier qu’est La Belle Captive, ouvrage écrit comme on sait en écho à soixante-dix-sept tableaux de René Magritte. S’il ne relève pas des textes majeurs, ce livre dispense néanmoins quelques enseignements de premier ordre. La prédilection qu’affiche Robbe-Grillet pour ce peintre dit beaucoup sur les fondements mêmes de l’œuvre du Nouveau Romancier, qu’elle soit romanesque et/ou surtout cinématographique. En effet, deux traits essentiels caractérisent, me semble-t-il, l’œuvre du peintre belge: un goût particulièrement marqué pour le ludique, jusqu’à la provocation, une attention toute particulière accordée au réalisme figuratif de l’image. Or, non seulement, chez Robbe-Grillet, ces deux traits sont éminemment présents, mais encore ils interviennent comme deux forces antagonistes, dont la coprésence et la lutte, tout comme chez Magritte, créent la nécessaire tension propre à l’émergence de l’acte de création. En d’autres termes, ils sont au fondement de l’esthétique robbe-grillétienne. Du moins estce là l’hypothèse qui sous-tend mon étude. Je vais même jusqu’à penser que cette piste permet de mieux appréhender un phénomène qui ne manque pas de soulever bien des questions, je veux parler de la sensible désaffection dont les deux derniers films, Un bruit qui rend fou et Gradiva, ont été victimes. Les chiffres du Centre national de la cinématographie (CNC) sont à cet égard particulièrement cruels: moins de cinq mille entrées pour le premier, moins de mille pour le second. À lui seul, cet échec commercial ne serait pas nécessairement significatif, mais s’y ajoutent l’éreintement ou, pire, le silence de la critique. À l’évidence, ces deux films n’ont pas rencontré leur public ou, du moins, ils ne l’ont pas «inventé», pour reprendre la formule souvent avancée par Robbe-Grillet lui-même pour expliquer la progressive reconnaissance de son œuvre romanesque. Hissons les toiles! 223 Robbe-Grillet 11c qx 10/15/10 1:50 PM Page 223 Si la désaffection touche de plein fouet ces deux derniers films, elle était présente déjà, bien qu’à un degré moindre, dans la plus large part de sa production cinématographique, à l’exception notable de Glissements progressifs du plaisir. En ce sens, si la reconnaissance de Robbe-Grillet romancier ne fait aucun doute, celle du cinéaste reste bien plus problématique68. Certes, nombre de raisons externes à l’œuvre pourraient être cherchées, mais je m’attacherai plutôt à les repérer au sein même du fonctionnement filmique. En particulier dans la manière dont la dimension ludique est soumise à l’épreuve du réalisme, et réciproquement. Ce qui implique que l’on s’attarde sur ces deux composantes tout en mettant l’accent sur la première puisqu’elle n’a pas, jusqu’à présent, fait l’objet d’un grand engouement critique ou méthodologique , en dépit d’un article ancien de Bruce Morrissette69 qui aurait pu ouvrir la voie. L’omniprésence du jeu Dès les premières œuvres romanesques aussi bien que filmiques, le jeu en tant que forme codifiée et instituée est fortement présent chez RobbeGrillet , parfois dès le titre: Le Jeu avec le feu, N a pris les dés ou encore ce Bruit qui rend fou, dont on sait qu’il est provoqué notamment par les dominos d’ivoire du jeu de Mah-Jong. Mais c’est naturellement au sein du monde diégétique qu’il est surtout présent, lorsqu’il constitue l’une des activités des personnages. Personne n’a oublié le célèbre jeu de L’année dernière à Marienbad, qui oppose M à X et qui devint presque un phénomène de mode dans le milieu cinéphile. Tout aussi bien, on...

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