In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

L’épistémologie au secours de la politique Nouveauté et ambiguïté du projet politique des Cultural Studies of Science Mathieu Quet L’objet de ce texte est un champ des Cultural Studies: les Cultural Studies of Science (CSS). Afin d’en tirer d’éventuelles leçons, les lignes qui suivent interrogent ces « études culturelles de la science » dans leurs rapports avec la théorie de la société et la pensée politique. L’existence même d’un tel champ est problématique, car il se dérobe à toute tentative de réduction. Un travail précis de définition sera donc nécessaire pour en stabiliser la conception. Toutefois, avant de mener ce travail de définition, nous pouvons nous appuyer sur une présentation schématique et provisoire des CSS comme l’intrsection des Science Studies et des Cultural Studies. Les Science Studies impliquées dans le champ des CSS sont nées au milieu des années 1970, dans le sillage des réflexions de Thomas Kuhn (1983), et leur apport principal a été de mêler le questionnement épistémologique de l’histoire et de la philosophie des sciences à celui, socio-institutionnel, de la sociologie des sciences, produisant ainsi de nouvelles interrogations sur la science comme activité sociale. Les « écoles » de Bath et d’Édimbourg sont souvent reconnues comme étant à l’origine de ce tournant, en particulier avec les travaux de David Bloor (1976) et Harry Collins (1981), qui défendent une analyse sociologique de la connaissance scientifique. C’est donc 30 Mathieu Quet E p r e u v e s principalement de la rencontre des Science Studies avec les Cultural Studies, notamment aux É.-U., que sont nées les Cultural Studies of Science. Une fois notre conception de ce domaine stabilisée, nous chercherons à répondre à la question suivante: Comment un domaine de recherche initialement très spécialisé, et relativement coupé d’un questionnement social général (l’épistémologie, l’histoire et la philosophie des sciences), a-t-il laissé apparaître un champ revendiquant systématiquement un questionnement politique? Cela nous amènera à étudier les apports des CSS à la théorie sociologique « traditionnelle » (à travers laquelle nous entendons la tradition durkheimienne, aboutissant à la sociologie de Pierre Bourdieu). Notre but n’est en effet pas seulement de présenter un domaine de recherche, mais plutôt de montrer dans quelle mesure les contributions de ce domaine suggèrent de penser différemment certaines questions fondamentales de la sociologie et de la théorie sociale. Bien entendu, ces apports ont aussi leurs revers, et à l’issue du texte, nous identifierons les limites du mouvement et essaierons de montrer dans quelle mesure des problèmes importants sont laissés en suspens. 1. L’existence problématique des Cultural Studies of Science Un label fragile La nature des CSS demande d’abord à être précisée, car celles-ci n’ont pas de définition rigoureuse. En France, le recours à une telle dénomination est extrêmement rare, mais on peut la trouver sous la plume d’auteurs isolés, renvoyant essentiellement à la description de pratiques anglo-saxonnes. Michel Dubois par exemple, dans son ouvrage La nouvelle sociologie des sciences, emploie le terme dans un chapitre qu’il consacre aux liens entre Cultural Studies et sociologie des [18.216.123.120] Project MUSE (2024-04-19 17:01 GMT) L’épistémologie au secours de la politique 31 E p r e u v e s sciences. Il décrit les CSS comme le prolongement d’« une tradition bien ancrée aux États-Unis de critique politique de la science » (Dubois, 2001, 212). Autre exception dans le paysage francophone, Michel Pierssens décrit la traversée de l’Atlantique des recherches sociales sur la science et leur adaptation au contexte de la vie universitaire américaine des années 1980-1990, en recourant à l’expression « Cultural Studies of Scientific Knowledge » (Pierssens, 1998). Mais en dehors de ces auteurs, rares sont ceux, dans la littérature francophone, qui emploient l’expression CSS comme dénomination valable. Dans les pays anglo-saxons, et en particulier aux États-Unis, l’existence du champ des CSS est plus fréquemment abordée. Dorothy Nelkin, dans Technoscience and Cyberculture, parle principalement de Science Studies, mais évoque pêle-mêle des programmes de Science, Technology and Society Science;Technology and HumanValues; Political Studies of Science; et de Cultural Studies of Science (Nelkin, 1996). En outre, certains auteurs revendiquent...

Share