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PORTRAITS DE TRADUCTRICES auteur du premier manuel d'enseignement pratique de la traduction, s'est révélée une pédagogue humaniste aux exigences très élevées. Nous avons tâché de montrer que ces exigences ne sont pas tout à fait étrangères à son tragique destin. Modifier le regard déformant des hommes Un lecteur attentif ne manquera pas de constater qu'en arrière-plande presque tous lesportraits qui composent le présent ouvrage se dégage le thème de l'éducation vue comme moyen de libération de la femme. Cela est particulièrement évident chez AlbertineNecker de Saussure, qui fut d'ailleurs l'auteur d'un traité sur L'Éducation progressive en trois volumes, le troisième étant consacré à l'éducation des jeunes filles. Cette contribution exceptionnelle, traduite en plusieurs langues, fut couronnée par l'Académie française. L'importance de l'éducation pour les femmes est aussi très évidente chez Ekaterina Karavelova, institutrice en plus d'être traductrice, chez Julia E. Smith, Eleanor Marx et surtout Clémence Royer. Cette autodidacte prendra l'initiative de donner un cours complet de philosophie de la nature à un auditoire uniquement féminin. Ce faisant, elle militait, nous dit Annie Brisset, «contre la peur du savoir qui caractérisait] les femmes et les maintenait] en état d'infériorité ». On remarquera aussi que plusieurs traductrices sont de souche noble : Emilie du Châtelet, Anne de La Roche-Guilhem, Albertine Necker de Saussure, MarianaFlorenzi, EleanorMarx, Irènede Buisseret. Si elles ne le sont pas, elles gravitent dans les milieux aristocratiques ou sont proches du pouvoir politique. Est-ce un hasard si ce sont les femmes occupant une position privilégiée dans la société qui ont eu accès à l'éducation? Mais qu'elles détiennent des titres nobiliaires ou non, presque toutes ces femmes font des traductions par nécessité financière.Rares sont celles qui traduisent en simples dilettantes. Une traductrice ou un traducteur s'adonnant à la traduction par pure désintéressement est une image d'Épinal. Cela ne veut pas dire pour autant que ces femmes ne traduisaient pas par plaisir ou qu'elles ne pouvaient jamais choisir les œuvres à traduire. Parallèlement à leur activité de traduction , la plupart d'entre elles ont produit des œuvres littéraires originales : études critiques, essais, romans. Et la traduction a été pour plusieurs d'entre elles un banc d'essai, une école de style, un tremplin vers l'écriture. Sur tous ces points les traductrices ne diffèrent guère de leurs homologues masculins. Leur manière de traduire ne semble pas se 6 PRÉSENTATION distinguer non plus de celle des traducteurs, du moins aucun auteur du collectif n'a noté de différence, à l'exception d'Amelia Sanz qui a relevé chez Annede LaRocheun mode d'« écriture-féminin»caractéris é par le développement d'intrigues amoureuses entre deux personnages , liberté que s'autorisaient également plusieurs autres de ses contemporaines à l'époque des «belles infidèles». Comme les traducteurs, les traductrices sont soumises à tout un ensemble de contraintes qui varient d'une époque à l'autre, à cela près que le simple fait d'être femmes leur impose des limitations ou des obstacles supplémentaires à surmonter : le droit d'exercer un métier (dans son Emile, Rousseau se prononce contre), le droit de voter (au début du XXe siècle, aucune femme sur terre n'avait encore le droit de vote) ou la liberté d'écrire2 (Rousseau refuse tout talent littéraire aux femmes, tandis que le grand financier de Louis XVI, JacquesNecker, ne pouvait pas souffrir qu'une femme devînt femme de lettres et se moquait des prétentions de sa fille, Germaine de Staël3 , à cet égard). On accepte, en revanche, que les femmes s'adonnent à la traduction, car ce sont les idées d'un autre, le plus souvent celles d'un homme, qu'elles réexpriment et non leurs propres idées. Quand elles pensent par elles-mêmes, elles s'arrogent un privilège réservé aux hommes. Voltaire écrit au sujet de Madame Dacier : «C'était sans doute une femme au-dessus de son sexe, et qui a rendu de grands services aux lettres, ainsi que son mari; mais, quand elle se fit homme, elle se fit commentateur; elle outra tant ce rôle, qu'elle donna envie de trouver Homère mauvais » (Voltaire 1822:322). En tant que traductrices, les femmes jouent...

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