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118 PENSÉE, IDÉOLOGIE ET POLITIQUE morts en passant par les branchements clandestins d'eau et d'électricité, l'animation culturelle. Cette convivialité en marche ne doit rien aux animateurs extérieurs, ni aux experts des ONG. Elle constitue la base vivante de la création économique populaire. Au niveau techno-économique, la production, la répartition et la consommationsont presque intégralement enchâssées dans cettesocialité nouvelle. Le bricolage et la débrouille peuvent aller jusqu'à une endogénèse technologique qui laisse rêveur l'entrepreneur condamné à l'insuccès. Ici, onest ingénieux sans êtreingénieur, entreprenant sansêtre entrepreneur, industrieux sans être industriel. Irréductible dans ses logiques, ses comportements et ses formes d'organisation aucapitalisme traditionnelet àlasociété technicienne, lanébuleuse informelle fait preuve d'une efficacité remarquable pour recycler les déchets de la modernitéet relever lesdéfis delasituation d'exclusion.Mutuellement dépendants,ces trois niveaux constituent une intégration réactionnelle à une collectivité ouverte, étrangère à Tordre national-étatique. Le réenchassement du technique et de l'économique dans le social n'est pas un retour à un monde disparu mais une véritable invention historique. Ainsi, sansbruit et sans fureur, ces sociétés vernaculaires sont peut-être en train de se former une identité plurielle et de construire une socialité postmoderne qui dépasse l'opposition de l'individu et de la communauté. On dit souvent que l'Afrique n'a pas encore fait entendre sa voix dans l'histoire humaine. Ce qui s'esquisse ainsi annonce peut-être une heureuse intervention dans le concert universel. Conclusion :plaidoyer pour un pluriversalisme Avec ses Persans, Montesquieu tentait de faire prendre conscience à l'Europedelarelativitédesesvaleurs. Seulement,dansun mondeunique, dominépar unepensée unique,iln'yaplusdePersans. Pourtant,l'époque de l'avènement de la cosmopolis est aussi celle où les déchirures sont les plus graves. On l'a vu, c'est l'époque de la tragédie de la Bosnie et du Kosovo,pour ne pas parler de celles du Rwanda ou des attentatsde l'ETA et de TIRA. On voit également apparaître un fanatisme identitaire sans précédent, aux contours flous. Le triomphe de l'imaginaire de la mondialisation a permis et permet une extraordinaire entreprise de délégitimation du discours relativiste même le plus modéré. Avec les droits de l'homme, la démocratie et, bien sûr, l'économie (grâce au marché), les invariants transculturels ont envahi la scène et sont MÉLANGES 119 indélogeables. On assiste à un véritable « retour de l'ethnocentrisme » occidental et antioccidental. L'arrogance liée à l'apothéose du marchéest elle-mêmeune forme nouvelle d'ethnocentrisme.L'extension programmée des technologies raffinées de la communication au sein du village planétaire a un fort relan d'impérialisme culturel. Letriomphe même de la technoscience et de ses applications (développement des biotechnologies , en particulier)ne portent-ils pas en germe une intolérance radicale à l'égard de ladiversité? On devrait néanmoins savoir qu'il n'y a pas de valeurs qui soient transcendantes à la pluralité des cultures pour la simple raison qu'une valeur n'existe commetelle que dans un contexte culturel donné. Cette situation de triomphe de l'ethnocentrisme ordinaire a été rendue possible par la démonisation des excès en retour que cette même mondialisation engendre : montée des intégrismes et des terrorismesethnicistes .Mêmelescritiqueslesplus féroces dela mondialisation sonteux-mêmes,pourlaplupart,coincésdansl'universalismedesvaleurs occidentales. Rares sont ceux qui tentent d'en sortir. Et pourtant, on ne conjurera pas les méfaits du monde unique de la marchandise en restant enfermé dans le marché unique des idées. Il est sans doute essentiel à la survie de l'humanité, pour contenir lesexplosions actuelles et prévisibles d'ethnicisme, de défendre la tolérance et le respect de l'autre,non pas en s'appuyant sur des principes universels vagues et abstraits, mais en s'interrogeant sur lesformes possibles d'aménagement d'uneviehumaine plurielle dans un monde singulièrement rétréci. Ilne s'agit doncpas d'imaginer une culturede l'universel,carellene peut exister.Ils'agit de conserver suffisamment de distance critique pour que laculturede l'autre donne du sens à lanôtre. Ledrame de l'Occident est de n'avoir jamais pu se départir de deux attitudes, qui, finalement aboutissent au même résultat : nier la...

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