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Rêver la LANGUE DISPARUE Régine Robin Université du Québec à Montréal I I n'y a plus grand monde qui aujourd'hui parle et comprend le yiddish. La plupart des yiddishophones de l'Europe centrale et orientale, sinon la totalité, ont été exterminés par les nazis. Il ne reste même plus la masse critique qui permettrait à une langue, même résiduelle, de se maintenir à flot. Seuls quelques îlots de Khassidim et autres juifs pieux à Montréal, New York et Jérusalem en font encore une langue vivante, mais dans un repli sur soi. Elle ne peut plus participer au dialogue des cultures,ni inscrire sa marque dans le grand concert langagier. Reste, pour l'écrivain ou le chercheur, quelques pistes que je ne peux évoquer que très rapidement. La traduction d'abord. La littérature de langue yiddish a été une grande littérature dans l'âge de la modernité, de 1830 à 19401 . Poètes et romanciers n'ont pas manqué. Un énorme travail de traduction attend celui qui a pour mission de mettre à la disposition des locuteurs des principales langues européennes les chefs-d'œuvre de la littératureyiddish. Un travail érudit, historique, peut également être entrepris. Nombre d'universitaires travaillent, aujourd'hui, à faire connaître non seulement ce qu'était le champ littéraire de la langue yiddish dans les différents pays où elle servait de langue culturelle et quotidienne aux masses, mais aussi le contenu de journaux, de revues et de théâtres yiddish d'autrefois. Ce que je choisis d'évoquer, c'est une autre voie, celle de l'imaginaire ; la façon dont le yiddish peut habiter une culture et une œuvre alors qu'on ne maîtrise plus rien de la langue. La langue perdue, la langue absente comme tremplin à l'imaginaire et à la création, si l'on veut, et quelques modalités de ces inscriptions. Le yiddish de Flaubert et les filiations imaginaires Philip Roth s'est toujours identifié à Kafka, d'abord à cause de l'antagonisme qui existait entre son père et lui.Très tôt, il écrit une nouvelle, « I Always Wanted you to Admire My Fasting: or Looking at Kafka », qui fut publiée pour la première fois dans American Review2 et reprise, en particulier, dans Reading Myself and Others3 . Roth imagine que Kafka n'est pas mort de tuberculose en 1924, qu'il a réussi à gagner l'Amérique en 1937 ou 1938 et qu'il est son professeur d'hébreu dans un minable high school du New Jersey. Le petit Roth l'a surnommé Dr Kiska, ce qui signifie en yiddish « intestins », tout cela parce que le pauvre professeur a l'haleine fétide et que les petits s'ennuient terriblement dans son cours. Pris de regrets parce qu'il a appris que le pauvre professeur vit dans une seule pièce dans une pension de famille, le jeune Roth décide de faire quelque chose pour le professeur souffre-douleur. Le père se met de la partie et invite Kafka à dîner en compagnie de la tante Rhoda, qu'on essaye en vain de marier depuis au moins vingt ans. Le déjeuner se passe plutôt mal, le père assommant Kafka d'albums de photos de famille, lui faisant les louanges des 200 membresde la famille éparpillés sur l'ensemble du territoire des États-Unis, et la tante Rhoda bavardant avec la mère du petit Roth sans regarder le vieux professeur. En fait, les choses ont tout de même fait leur bonhomme de chemin. Kafka invite la tante Rhoda au cinéma. Il l'emmène même à Atlantic City. Et puis, évidemment, cela tourne mal et Kafka laisse dans la détresse la pauvre tante Rhoda qui, elle, croyait à cette histoire d'amour. Kafka va devenir un personnage central dans l'œuvre de Philip Roth, une espèce de figure paternelle, source de filiation spirituelle et littéraire, la vraie filiation. Je voudraisévoquer icil'aventure du personnage de Nathan Zuckerman4 à Prague,à la recherche des tracesde Kafka dans L'OrgiedePrague,qui sert d'épilogue à la fameuse trilogie, et The Prof essor of Désire5 , qui nous fait retrouver David Kepesh, le professeurde littérature. Celui-ci yrencontre un professeurde littérature tchèque, spécialiste de Kafka, qui a été chassé de son poste à l'université après la fin tragique du Printemps de Prague, et...

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