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184 COMPTER, ÉCOUTER, OBSERVER, MONTRER bleu pâle, brillant et lisse comme toutes les surfaces, plongeant directement sur le port. De sa chambre donnant sur la passerelle qui sert de balcon intérieur, Mathieu voit en permanence lesbateaux accostés dont on peut observer la vie à bord. Le mouvement et le bruit ne s'apaisent que tard dans la nuit. Cette fois je vais dormir dans la place et suivre toute la vie de la soirée, puis le réveil, tôt le matin dans la lumière déjà blanche. Dansl'espace de Mathieu qui n'a pas refusé, je dormirai par terre comme le font lui et sa mère qui occupe la chambre voisine. Les lieux parlent au travers de ces marquages symboliques de l'espace volontairement dépouillé mais qui sont disposés pour être vus. Ils expriment un rapport au temps qui veut être fluide, bien encadré toutefois dans du temps borné ;une socialisation qui valorise l'autonomie, en contradiction, parfois, avec les pratiques. Saisies en acte, elles ne cachent pas leur« mode de faire » ou leurs valeurs sous-jacentesde modernit é et de rigueur. Liberté d'action et respect strict de l'ordre domestique, malgré un refus visible du traditionnel, que soulignent le mobilier et les ressources matérielles du décor. La caméra peut identifier, dévoiler et montrer quelque chose de la cohérence entre cet intérieur et le mode familial de socialisation qui s'y développe. Signes, moyens et pratiques se répondent. Cet espace intègre, à sa manière, son propre rapport au temps que capte l'image. Comme le décor, la vie est une ligne droite à suivre avec sérénité et certitude de ce que l'on vaut. L'enfant comme la mère portent cette confiance en soi. Les temporalités domestiques et familiales s'y manifestent dans du visible et du concret : lieux, formesmatérielles, objets, dessinant des lignes, tout est représenté et représentable. La caméra sur le terrain : le choix des images Un plan de tournage comporte plusieurs registres : les objectifs de la recherche, les données des contacts avec les personnes , le repérage des lieux, des mouvements à effectuer, celui du temps disponible et des moments adéquats, etc. Quandje travaille seule, mon plan de tournage n'est pas aussi rigoureux et précis que pour le documentaire. Lorsqueje cherche à saisir des choses en train de se dérouler, quelques indications suffisent. J'évite la OBSERVER ET MONTRER 185 contrainte d'avoir à diriger un preneur de son, ce qui semble peu commode dans des lieux habités et circules, ou celle de diriger un cadreur, car la prise d'images est réglée sur les déplacements d'un enfant ou d'une grande personne. Dans le cas du documentaire, au contraire, tous les plans sont prévus, leur type, leur durée, leur signification. Pour le documentaire sociologique, la question se pose de savoir s'il faut filmer la totalité des activités, par exemple l'intégralit é d'une séquence temporelle d'activités ou d'une situation d'interactions. Comme je ne me place pas selon une approche ethnographique, mais queje cherche à repérer des synergies entre temps, lieux, objets, mouvements de corps, paroles, mimiques, je peux enregistrer des séquences discontinues ou focalisées sur certains points. Toutefois la question de la durée du plan se pose toujours . Le débat a été souvent engagé avec des ethnologues, des documentaristes, concernant l'intégralité des enregistrements et la durée du tournage. Certains défendent un tournage sanslimite, pouvant prendre alors des semaines, des mois, seule façon selon eux, garantissant l'enregistrement d'une vraie réalité. Je pense à Frederik Weisman ou à Richard Leacock, rencontrés aux ÉtatsUnis , aussi à Van der Keuken, dont quelques documentaires ont été analysés avec des étudiants ou avec des chercheurs. Ils appliquent une sorte d'observation participante avec caméra qui n'a pas eu en sociologie d'équivalent en France8 . Les grands documentaristes de l'époque, comme Hubert Knapp et Jean-Claude Bringuier, ont longuement filmé pour réaliser leurs séries documentaires . À un moment toutefois,leur temps de tournage a dû se limiter, exigeant d'eux une préparation plus rigoureuse et un repérage précis, sans caméra. La caméra sur le terrain dans l'espace intime de l'enfant Pour filmer des enfants il faut se placer...

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