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Frères et soeurs dans la mort: la sociabilité funéraire à Montréalsous le Régime français
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Frères et soeurs dans la mort: la sociabilité funéraireàMontréal sous le Régimefrançais Brigitte Caulier Université Laval Plusieurs approches ont été valorisées pour mieux saisir l'évolution des sentiments à l'égard de la mort. Après le décompte de celle-ci par les démographes, une mise en perspective s'impose pour comprendre la place de la camarde dans la société, dans les familles et si possible chez lesindividus. Depuis les années 1970, chercheurs américains eteuropéens de plusieurs disciplines scrutent passé et présent, et constatent des modifications majeures: d'une mort dont l'idée est intériorisée et acceptée à une mort gênante et donc cachée, silencieuse, dans nos sociétés. Plusieurs études québécoises ont porté sur ces thèmes; historiens et folkloristes ont le plus contribué à des travauxportant sur les cimetières, les pratiques funéraires, testamentaires, lesuicide et la mort marginale1 . Les sources utilisées vont de l'enquête orale aux monuments et s'appuient aussi sur des témoignages écrits telle que la correspondance ecclésiastique et les dossiers paroissiaux utilisés par Serge Gagnon2 . 1. Real Brisson, La mort au Québec.Dossier exploratoire, Québec,CELAT, Université Laval, 1988, 144p. 2. Serge Gagnon,Mourir, hier et aujourd'hui. De la mort chrétienne dans la campagne québécoise au XIX' siècle à la mort technicisée dans la cité sans Dieu, Québec, PUL, 1987, 192 p. 150 BRIGITTE CAULIER Aujourd'hui nous nous proposons d'aborder un autre objet d'étude: les confréries, où les sentiments à l'égard de la mort ont trouvé un lieu d'expression privilégié,particulièrement chez celles d'encadrement strict3 . Moyennant une cotisation annuellemodique, elles accordaient à leurs membres décédés des funérailles décentes et auparavant un soutien spirituel et confraternel pendant l'agonie, car de la qualité de celle-ci dépendait beaucoup le séjour dans l'au-delà. L'appartenance à ces confréries garantissait de ne pas mourir seul et d'être accompagné par la prière des associés4 qui, à chaque assemblée, invoquaientleToutPuissantpourqu'il accueille leurs morts, formant ainsi une famille élargie. Notre analyse portera sur trois associations montréalaises, les Dames de la Sainte-Famille (1663-1960) réservée aux mères de famille, la Congrégation des Hommes de Ville-Marie (1693-1967), pour les adultes de sexe opposé et la confrérie de l'Adoration du Saint-Sacrement et de la Bonne-Mort (1732-début XXe siècle), de recrutement mixte, communément appelée la Bonne-Mort. La première a regroupé au moins 599 femmes jusqu'en 1759. Pour la seconde, les documents ont disparu en partie, mais un catalogue de 1703 comprend 199noms. La Bonne-Mort a accueilli pour sa part 863 personnes entre 1732 et 1759. La production documentaire interne de ces associations nous a permis de situer leurs activités reliées à la mort. Nous avons aussi dépouillé les ouvrages recommandés aux associés pour se préparer à la mort et nous avons analysé exhaustivement la prédication sulpicienne sur ce thème jusqu'au XIXe siècle, afin de cerner la teneur du discours sur la mort présenté aux paroissiens ordinaires de Notre-Dame de Montréal. Après avoir identifié les pratiques funéraires confraternelles, nous évoquerons les liens d'intercession qui unissent les vivants et les morts. Enfin, nous analyserons la conception de la mort sous-jacente. 3. Cette recherche a été menée dans le cadre d'un doctorat réalisé grâce à une bourse du CRSHC et intitulé: « Les confréries de dévotion à Montréal XvII'-XIXe siècles », Université de Montréal, Ph.D. Histoire, 1987, 586 p. 4. Nous utiliserons désormais le générique masculin dans la seule fin d'alléger le texte. [54.92.155.93] Project MUSE (2024-03-29 12:43 GMT) FRÈRES ET SOEURS DANS LA MORT 151 I. Les pratiques funéraires L'assistance confraternelle ne se limitait pas aux funérailles mais englobait aussi l'agonie. Grâce aux visiteurs de quartiers, les directeurs et l'ensemble des associés devaient connaître les membres malades et agonisants. 1. L'assistance à l'agonie À la confrérie de la Bonne-Mort, ces visiteurs avaient soin d'aider lapersonne gravement atteinte àsepréparer: « Si quelqu'un des Associés...