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166 Constructions identitaires et pratiques sociales laisser attendrir par cette promotion du milieu asilaire est-il realiste? II est vrai que le lieu a souvent etc decrit par les inspecteurs d'asiles et lesjournalistes de maniere a en faire ressortir 1'esthetisme et la beaute. Cependant, il est egalement vrai que ce lieu « est reserve a la classe la plus malheureuse : les alienes. [Et qu'] on serait charme et heureux de vivre en ce lieu si, a chaque pas, on ne se heurtait pas a quelque infortune aux yeux hagards et a la raison desequilibree18 ». Cette promenade virtuelle sur le territoire asilaire a permis de decouvrir un endroit peut-etre plus chaleureux, sympathique etjoyeux qu'on 1'avail imagine. Mais qu'en est-il lorsque cet univers clos est anime par une population turbulente, exuberante et excentrique? Le sentiment identitaire L'espace asilaire a souvent ete decrit comme etant un lieu sans animation, sans mouvement, sans vie. Aucun cri de douleur ou de joie, aucun rire dement ou joyeux, aucun mot de haine ou d'amour, aucun claquement de porte, aucune bousculade, aucun fracassement de vaisselle, aucune dispute. Le calme plat, comme il n'a certainement jamais existe dans les etablissements quebecois destines aux fous. L'asile respiraitpeut-etre la tristesse, la souffrance et la peur, mais aussi la joie, le plaisir et la securite. Representer 1'institution asilaire tout en lui donnant un airjoyeux est un defi risque. Toutefois, le modeler dans un contexte statique elimine toute chance de credibilite. La dynamique intrinseque de I'asile est 1'un des sujets qui a ete neglige par les chercheurs qui se sont interesses a 1'univers asilaire. Jusqu'ici 1'historiographie n'a pas permis de prendre le pouls de I'asile dans sa quotidiennete . L'approche medicale avec laquelle les historiens se sont interesses au traitement moral a completement occulte la vie a I'interieur de I'asile. La scientificite du traitementmoral, les bienfaits de cette approche et le choix des patients pour ce genre de therapie ont d'avantage interesse les chercheurs, plutot que les changements meme de la vie a 1'interieur de I'asile ou etait encouragee une telle philosophic. L'asile est un milieu effervescent. Les marginales y sont enfermees en raison de leurs comportements deviants, leurs reactions excessives, leur personnalite excentrique, leur conduite scandaleuse. II est vrai que certaines autres sont melancoliques, depressives ou tout simplement tres agees. Ces dernieres ne sont peut-etre pas les meneuses de claques de 1'institution; neanmoins leur participation passive fait partie du portrait feminin de la clientele asilaire. Ces femmes reunies dans 1'une des douze salles reservees a la clientele femininede Saint-Jean-de-Dieu etaient regroupees selon 1'etiquette medicale qui leuretait attribute a 1'admission. Les principals classifications medicales notees au L'espace asilaire feminin et le sentiment identitaire 167 dossier des internees sont la folie des degenerees, la melancolie, 1'alienation mentale et les differentes formes de demence et d'epilepsie. Selon ces memes classifications, 30 % des femmes internees ont ete admises en raison de leurs facultes affaiblies et 35 % a cause d'un desordre de la personnalite. C'est dire que les deux tiers des malades etaient des debiles, des idiotes, des imbeciles, des dementes ou des agitees, des excentriques, des deraisonnables, des excessives19 . En somme, suffisamment de caractere, d'imagination et d'entrain feminin pour faire vibrer la batisse asilaire. A Saint-Jean-de-Dieu, tout comme au Protestant Hospital, le travail faisait partie de la routine journaliere. Les principales taches etaient consacrees notamment a 1'entretien des terrains et a la culture des jardins. Ces travaux saisonniers etaient reserves aux patients les plus gaillards, robustes et alertes. Cette fa?on d'occuper le temps des patients sur le territoire asilaire etait tres normalisante. Chacun s'affairait a une tache qui convenait a ses aptitudes et a son talent, tout en participant au bon fonctionnement de 1'institution. Les statistiques du travail de la Sceur superieure de Saint-Jean-de-Dieu revelent que 47 % de la population feminine travaillait dans les salles, aux ateliers, aux cuisines ou sur le terrain de 1'institution20 . Le cours de la vie quotidienne etait rompu par des activites de toute nature. Concerts de fanfares, « sauteries », soirees dramatiques et representations cinematographiques etaient organises dans le but de distraire les pensionnaires de 1'asile. Au cours des ans, ces activites se multiplient et elles ne sont pas organisees qu'en fonction de visees therapeutiques. Les propos du...

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