Gilles Paquet: Homo hereticus

Chapter 27. Six observations sur la croissance québécoise à la manière de Gilles Paquet

 284  Chapitre 27 Six observations sur la croissance québécoise à la manière de Gilles Paquet  Pierre Fortin Les gens ont des raisons de faire ce qu’ils font. —Herbert Simon Le conformisme est la plaie de l’université. —Maurice Bouchard Ayant lu à un tout jeune âge l’Histoire économique et sociale du Québec 17601850 de Fernand Ouellet, j’ai adhéré au départ à l’image que les littérateurs de son époque ont construit de la société canadienne-française d’autrefois : un peuple empêtré dans une irrationalité aveugle et un conservatisme indécrottable, qu’il fallait sortir au plus tôt de son état d’arriération économique et sociale. Cependant, dans les années 1970, les travaux de Paquet et Wallot, colligés dans leur livre récent Un Québec moderne 1760-1840, m’ont fait découvrir que les habitants canadiensfran çais n’étaient pas exactement la bande d’arriérés qu’on avait dit. Ces gens, comme disait Herbert Simon, avaient des raisons de faire ce qu’ils faisaient. Le devoir des chercheurs était de comprendre cette rationalité avant de juger. Paquet, contestataire et inspirateur Paquet et Wallot ont établi que les habitants maximisaient astucieusement le rendement économique sous les contraintes institutionnelles et géotechniques auxquelles ils étaient confrontés. De plus, ils ont démontré que les Canadiens français ont commencé à entrer dans la modernité dès la fin du XVIIIe siècle, SIX OBSERVATIONS SUR LA CROISSANCE QUÉBÉCOISE  285  passant de la trappe et de l’agriculture au capitalisme commercial, puis industriel, et luttant pour accéder au parlementarisme responsable. Paquet et Wallot ont aussi fait la preuve qu’en histoire, comme dans les autres sciences humaines, la minutie quantitative est payante, pourvu que la longue et pénible identification de chacun des arbres ne finisse pas par faire perdre de vue la forêt et sa trame événementielle. J’ai ensuite appris à connaître plus personnellement cet admirable contestataire qu’est Gilles Paquet. Les chercheurs qui font avancer les choses ne sont pas les conformistes qui ajoutent des points-virgules aux paradigmes dominants, mais plutôt les contestataires qui, comme lui, mettent en question de grands pans de l’ordre intellectuel reçu. Ses analyses de l’arriération économique présumée des Canadiens français et des conséquences de la Révolution tranquille des années 1960 au Québec ressortent tout particulièrement. Non seulement elles rejettent la sagesse conventionnelle, mais elles proposent des interprétations alternatives cohérentes. Paquet n’a pas toujours raison. Mais même quand il se trompe, il le fait de la bonne manière, et jamais sur une insignifiance. Paquet est l’un des premiers économistes canadiens à avoir promu l’analyse behaviorale, laquelle vise à intégrer en économie les découvertes de la psychologie et de la sociologie. Son insistance sur le rôle économique fondamental de l’identité, des institutions et du capital social a été précoce. Elle n’a attendu ni Akerlof ni Acemoglu ni Putnam ni Helliwell. Paquet a ardemment défendu l’insertion de l’intellectuel dans la vie publique. En ce domaine, il a montré la voie en s’impliquant plus que tout autre économiste canadien de sa génération dans les corps scientifiques et dans l’activité médiatique. Il est une inspiration pour ceux d’entre nous qui cherchons à débarrasser l’analyse économique de ses œillères disciplinaires et à communiquer ses intuitions de base à un public large. C’est sur le sujet de la croissance économique du Québec au XXe siècle — plutôt qu’aux XVIIIe et XIXe — que mes intérêts scientifiques ont surtout croisé ceux de Paquet. J’ai donc pensé que la meilleure façon de lui rendre hommage est de proposer un programme de recherche structuré sur certaines grandes questions que pose la croissance québécoise contemporaine. Paquet s’est surtout appliqué à comprendre la politique économique de Maurice Duplessis et de Jean Lesage, son successeur qui a lancé la Révolution tranquille en 1960. Son ouvrage Oublier la Révolution tranquille n’a pas été tendre pour les artisans et les profiteurs — citélibristes comme nationalistes — de cette révolution. La thèse qui s’y trouve avancée est qu’en pratiquant la coupe à blanc dans les [3.139.238.76] Project MUSE (2024-04-18 12...