- Istanbul, City of the Fearless. Urban Activism, Coup d'État, and Memory in Turkey by Christopher Houston
Istanbul, City of the Fearless s'ouvre sur une invitation engageante :
Imaginez une ville caractérisée par la radicalisation en masse des étudiants, des travailleurs et des associations professionnelles […]. Considérez une ville où la ségrégation gauche/droite et gauche/gauche est tenace dans presque tous les domaines de l'interaction sociale publique, dans les universités et lycées, dans les cafés, usines, rues et banlieues (p. 1).
Tissant une cinquantaine d'entretiens avec des militants de tous horizons politiques et s'appuyant sur des archives de journaux, des pamphlets politiques et des mémoires, la monographie de Christopher Houston nous invite à réfléchir sur la façon dont les militants de la période 1974-1983 se représentaient la politique et l'espace public. En introduisant le concept de « politique spatiale », il associe des discussions sur la phénoménologie à des comptes rendus minutieux sur la manière dont les militants se souviennent de leur militantisme politique à Istanbul. Circonscrit à la période qui a précédé le coup d'État de 1980 et ses suites immédiates, l'activisme politique urbain que Christopher Houston étudie appartient à une autre époque, où le militantisme de gauche dans les villes a constamment été décrit comme une forme de « banditisme urbain » par les gouvernements de droite du moment.
Le livre s'appuie sur une approche phénoménologique de la mobilisation sociale, de la violence politique entre les courants politiques et de la violence étatique, enfin des mémoires qui donnent la priorité à la parole des militants eux-mêmes. Plutôt qu'une analyse externe, le livre se concentre sur les acteurs en demandant directement à plus de cinquante militants politiques d'Istanbul des années 1970 quels souvenirs ils ont gardés de la ville, quel sens ils donnaient à la mobilisation politique de l'époque et quelle était leur implication. L'orientation spatiale d'Istanbul, City of the Fearless fait de ce livre une contribution unique dans les études turques. L'ouvrage ne se contente pas d'examiner quelle faction politique était implantée dans tel ou tel quartier, il retrace également l'impact de la mobilisation politique sur le développement de la ville et le vécu des habitants. [End Page 146]
L'ouvrage est organisé en huit chapitres. Les chapitres 1 et 2 introduisent et développent les concepts et les fondements méthodologiques de la recherche. Le chapitre 3 vise à présenter un panorama politique, spatial et social d'Istanbul de 1923 à 1974. Les chapitres 4 et 5, dans lesquels Christopher Houston mobilise ses données ethnographiques, constituent le cœur du livre. L'auteur s'attache à montrer comment le militantisme politique a façonné le paysage urbain d'Istanbul dans les années 1970. Dans le chapitre 5, il explique comment la politique spatiale était essentiellement composée des bidonvilles, des usines et des municipalités. Ce chapitre donne des éléments importants pour les études de sociologie urbaine et des mouvements sociaux. Le chapitre suivant expose les différentes idéologies et stratégies politiques de l'extrême gauche turque en faisant des allers-retours avec les mouvements anticommunistes de droite. Le chapitre 7 se concentre sur le coup d'État du 12 septembre 1980 et ses suites, et retrace les conséquences de la prise du pouvoir par les putschistes (1980-1983), dans le champ politique mais aussi le champ urbain. Le dernier chapitre fait le bilan de l'emploi de la phénoménologie dans l'étude de la violence politique des années 1970 à Istanbul. Le livre arrive à ses conclusions en montrant la complexité et la nature changeante des stratégies, des personnes et des pratiques.
L'ouvrage peut être considéré comme la première synthèse sur les années 1970 en Turquie vues à travers le prisme d'une ville. Mais on est en droit...