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  • ÉditorialLes liens familiaux à l’épreuve des institutions disciplinaires
  • Elsa Génard, Anatole Le Bras, Paul Marquis, Mathilde Rossigneux-Méheust, and Lola Zappi

Ce dossier constitue le premier bilan d'une réflexion menée collectivement au sein du Groupe de recherche sur les institutions disciplinaires (GRID) consistant à proposer une histoire comparée des institutions aux finalités aussi éloignées que l'asile, la prison, l'armée, l'hospice, l'hôpital et l'école, en interrogeant à travers elles, et quelque quatre décennies après son énonciation, la pertinence du concept foucaldien d'« institution disciplinaire1 ». Ce décloisonnement historiographique s'est arrimé au parti pris de faire l'histoire des populations instituées en sortant du seul face-à-face entre une administration et des individus. Donner à voir la place et le rôle des familles contribue alors à élargir et à approfondir la compréhension historique des institutions. Les relations familiales apparaissent non seulement comme un point d'entrée dans une histoire des relations de pouvoir en institution, mais aussi comme des liens sociaux qui permettent de discuter du pouvoir des institutions.

Les institutions réunies dans ce dossier sont loin de former un tout homogène2. Là où l'asile, la prison et, dans une moindre mesure, les services sociaux, s'apparentent à des « hétérotopies de déviation3 » pour populations marginales, le couvent ou l'école s'adressent à un public jugé « normal ». Au-delà des populations ciblées, leur degré de clôture, d'ouverture ou de coercition varie fortement d'une institution à l'autre : les prisons de l'Espagne franquiste et les crèches des années 1968 se [End Page 3] situent, dans ce dossier, aux deux extrémités du spectre disciplinaire. De même, si la plupart d'entre elles s'apparentent à des « institutions totales4 », s'incarnant dans des lieux de vie, certaines, comme les services sociaux, constituent une courroie de transmission entre les structures de placement et le reste du corps social. Enfin, les institutions dont il est ici question ne partagent pas les mêmes finalités : leur fonction de contrôle social s'accompagne chez les unes d'une vocation de soin ou d'assistance, chez les autres d'un rôle punitif ou éducatif. Reste que, par-delà leurs différences, ces institutions sont toutes le lieu d'un « travail sur autrui5 ». Ce travail porte principalement sur les individus pris en charge, mais il concerne aussi les proches des institués.

En proposant une histoire sociale partant des acteurs, de leurs pratiques et de leurs représentations de la famille, ce dossier défend une double proposition historiographique : entrer dans les institutions par la porte des pratiques sociales (et non par les projets, les politiques ou les réformes institutionnels) et braquer le projecteur sur les familles en déplaçant le regard hors les murs. Ce faisant, il place au cœur de sa problématique la question des liens sociaux. En cessant d'isoler les institutions disciplinaires du reste des structures sociales, en l'occurrence, familiales, il montre que les liens ne disparaissent pas avec l'institutionnalisation : au contraire, leur régulation fait partie intégrante du fonctionnement quotidien de ces institutions.

Ce dossier se veut aussi une réflexion sur la possibilité de saisir, avec les outils des historiens, les interactions familiales. Il suggère de nouveaux gisements de sources et de nouveaux lieux pour écrire l'histoire de la famille. Par les contraintes qu'elles font peser sur les structures familiales, mais aussi par les rôles familiaux informels qui se créent dans leurs interstices, les institutions disciplinaires apparaissent comme l'un des espaces où se construit la famille, au-delà des sphères traditionnellement étudiées que sont le couple, le foyer ou la parentèle.

Dans quelles mesures les liens prescrits par les institutions comme ceux entretenus par les institués redessinent-ils les contours de la famille ? Le capital familial constitue-t-il une ressource mobilisable dans l'expérience de l'enfermement ? Première pierre d'un grand chantier, ce dossier se veut avant tout une invitation à prolonger ce questionnement chez les historiens...

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