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  • Tristes grossesses. L'affaire des époux Bac (1953–1956) by Danièle Voldman et Annette Wieviorka
  • Loïc Vadelorge
Danièle Voldman et Annette Wieviorka, Tristes grossesses. L'affaire des époux Bac (1953–1956), Paris, Éditions du Seuil, 2019, 192 p.

À l'heure où l'épidémie de Covid-19 restreint de facto l'accès de nombreuses femmes à l'IVG, il n'est pas inutile de rappeler que l'histoire du droit à l'avortement ne commence pas au début des années 1970, entre la création du Mouvement de libération des femmes (MLF) et la loi Veil. À trop associer le droit des femmes à disposer de leur corps au seul combat féministe, on prend le risque de dissocier l'histoire sociale de l'histoire des femmes. C'est tout l'intérêt de l'enquête conduite par Danièle Voldman et Annette Wieviorka sur le drame et le procès des époux Bac en 1953–1954, que de réaliser le double objectif d'écrire une page inédite de l'histoire du droit à l'avortement, tout en rappelant que cette histoire ne peut se limiter à la succession des grandes figures de la défense des femmes, de Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé à Gisèle Halimi ou Simone Veil.

L'intention du livre est clairement exposée dans le premier paragraphe. Il s'agit de faire l'histoire d'un fait divers devenu fait de société dans la France des années 1950, celui d'un couple de 25 ans, accusé d'avoir laissé mourir de faim un nourrisson de 8 mois. Au second procès des époux Bac, une jeune gynécologue, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, témoigne, profitant de l'audience médiatique pour faire avancer ses idées sur la « Maternité heureuse », première mouture du Mouvement français pour le planning familial (1956). En dépit de ce jalon historique, mentionné dans la plupart des ouvrages traitant de l'histoire des femmes et de la maternité, personne n'avait retracé ni l'histoire du drame, ni les circonstances et enjeux du procès des époux Bac. C'est désormais chose faite, et de belle manière.

Le livre s'adresse volontairement au grand public. L'appareil critique est réduit à l'essentiel, le style est clair, sans jargon inutile, et la construction chronologique de l'enquête facilite la lecture d'une traite, comme on le ferait avec un thriller historique. Ce parti pris d'écriture est assumé par deux historiennes qui, au seuil de leurs retraites respectives, considèrent que le rôle de la recherche historique est moins de participer aux débats historiographiques sur le féminisme et le genre que d'éclairer le grand public sur les raisons profondes qui expliquent la date tardive de la mise en place d'une législation protectrice des femmes en France, alors même que le fléau sanitaire de l'avortement était parfaitement connu depuis des décennies. D'une certaine manière, on retrouve dans ce livre la manière d'écrire l'histoire des femmes d'une historienne, Yvonne Knibiehler, qui n'est pas citée dans la bibliographie, mais qui, elle aussi – malgré un positionnement sans doute différent de celui de Danièle [End Page 214] Voldman et d'Annette Wieviorka – choisissait de rendre accessible au plus grand nombre l'histoire complexe de la révolution maternelle.

Aux générations actuelles d'étudiants et d'étudiantes en histoire à qui l'on fait lire les grands textes de Lucien Neuwirth ou de Simone Veil sur le sujet de la contraception ou de l'IVG, ce livre vient rappeler que les droits récents des femmes ont profondément divisé la société française des Trente Glorieuses. Cette division-là est aussi le signe de la fragilité des acquis sociaux. Disons-le d'emblée, il est d'utilité publique de lire et de faire lire ce livre, qui est un modèle d'enquête historique de première main, aussi respectueuse des archives que des enjeux du sujet.

À cet égard, on conseillera de commencer par...

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