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  • Naviguer à contre-courant ? Les mobilisations transnationales pour une gouvernance communautaire de l’eau et des forêts en Amérique latine by Émilie Dupuits
  • Franck Poupeau
Émilie Dupuits, Naviguer à contre-courant ? Les mobilisations transnationales pour une gouvernance communautaire de l’eau et des forêts en Amérique latine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Des Amériques », 2020, 280 p.

L’originalité de la recherche d’Émilie Dupuits, sur un terrain aussi balisé que l’étude des formes communautaires de gouvernance (c’est-à-dire indépendamment de l’État ou du marché), est à la fois de comparer la gestion de deux types de ressource (eau, forêts) et de situer la réflexion dans une perspective multi-niveaux qui inclut la dimension transnationale de mobilisations qui s’enracine en Amérique du Sud et en Amérique centrale.

Cette perspective comparée à l’échelle transnationale se développe à partir du constat de trois « similarités », qui permettent en même temps d’en apprécier les différences spécifiques : les contextes d’émergence (des formes de gestion confrontées à l’extension des politiques extractives au niveau régional), les objectifs poursuivis (la préservation des organisations de gestion communautaire), la composition interne des mobilisations (constituées d’organisations civiles de base, avec des leaders inter-nationalisés et multipositionnels).

Une des hypothèses fortes du livre est que l’organisation en réseaux transnationaux correspond à une stratégie de défense des modèles de gouvernance communautaire, face au développement de modes de gestion des ressources naturelles qui les contredisent. L’auteure la confirme avec force arguments, empiriquement fondés à travers ses deux principaux cas d’étude, la Clocsas (Confédération latino-améri-caine des organisations communautaires de services d’eau potable et d’assainissement) et l’AMPB (Alliance mésoaméricaine des peuples et des forêts). On peut, au passage, souligner la richesse de l’enquête menée par l’auteure, avec non seulement un grand nombre d’entretiens, mais aussi la diversité des matériaux utilisés. C’est en particulier en s’attachant aux trajectoires des acteurs concernés qu’elle analyse le renforcement des réseaux transnationaux communautaires, et la façon dont leurs stratégies s’adaptent aux normes globales dans les arènes en question – tendances à la coopération avec les ONG et les États dans le cas de la Clocsas, tendance à la rupture dans le cas de l’AMPB.

Ces stratégies ont des effets sur les dynamiques de professionnalisation et d’expertise au sein de chaque secteur, et c’est sans doute l’apport le plus novateur de cette enquête. En matière de gouvernance de l’eau, on assiste à une formalisation des savoir-faire qui engage un processus d’expertise technique que l’on pourrait qualifier d’international ; en matière de gouvernance des forêts, c’est un renouvellement des savoirs qui se produit, susceptible de renforcer une expertise communautaire au niveau des territoires. Dans chaque cas, en revanche, la production des savoirfaire techniques favorise la réappropriation des modes de gestion des entreprises, des administrations publiques ou des ONG, au sein des réseaux transnationaux. [End Page 167] Une tendance à la dépolitisation se dégage de ces processus de mobilisation d’outils gestionnaires et de collaboration avec le secteur privé. On aurait aimé en savoir plus sur les contenus de ces savoirs d’expertise, en lien à la fois avec les formations académiques et les savoirs locaux, ainsi que sur les caractéristiques scolaires des acteurs étudiés.

On pourra seulement regretter, au terme de cette enquête, la relative absence des institutions étatiques. Celles-ci ne figurent qu’en creux, comme des forces « extérieures » imposant des politiques « (néo)-extractivistes » aux formes de gestion communautaire. C’est pourtant aux gouvernements dits « progressistes » des pays mentionnés dans le livre que l’on doit des avancées légales et concrètes en termes d’accès à l’eau ou de droit à l’eau, par exemple. La volonté de cerner un espace trans-national, sans faire place aux fonctions régulatrices des États en matière de gestion...

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