- Le Pérou et ses confins amazoniens. Le cas du Haut Marañón, 1946–2009 by Irène Favier
Dans cette thèse de doctorat en histoire remaniée pour publication, Irène Favier propose une ambitieuse monographie régionale en retraçant l’histoire du Haut Marañón, porte de l’Amazonie péruvienne, depuis le milieu du xxe siècle. Le bagage d’historienne du social de l’auteure lui permet d’emblée de ne pas aborder l’Amazonie par le prisme ressassé de l’imaginaire ou des pratiques ancestrales, mais bien comme un lieu de conflits sociaux où se mesurent des acteurs qui dominent ou qui émergent, qui collaborent ou qui s’opposent. Elle présente d’ailleurs son intérêt pour la région dans le cadre d’une démarche d’histoire régressive, popularisée par Marc Bloch puis Nathan Wachtel, à partir de l’événement tragique du Baguazo en 2009. La mobilisation de communautés indigènes Awajuns et Wampis contre un projet d’exploitation pétrolière avait alors conduit à une violence symbolique et physique extrême, renouvelant les questionnements sur la place de ce territoire et de ses habitants dans la construction citoyenne et nationale du Pérou.
La démarche méthodologique la plus forte réside cependant dans le recours à la micro-histoire globale. Irène Favier entend montrer que cette petite portion de l’Amazonie, certes dans les confins de la république, a bien été traversée par les grands courants transnationaux qui ont agité le monde. Elle s’appuie pour cela sur une documentation locale diversifiée. On peut à ce titre regretter la suppression de la présentation approfondie des sources, sans doute en raison de contraintes éditoriales, qui figurait dans la thèse originelle. On y apprenait qu’elle a pu notamment se fonder sur des textes législatifs et sur des archives religieuses pour les années 1950, ainsi que sur une vingtaine d’entretiens oraux, notamment avec des leaders indigènes, ce qui permet de restituer à leur propriétaire la parole indigène qui ne s’est extériorisée que tardivement dans la région.
Après un prologue introductif qui présente l’événement du Baguazo, Irène Favier procède en trois parties chronologiques. La première, de 1946 à 1970, se concentre sur le rôle central des missionnaires, qui développent une grande activité éducative dans la région, et sur les premières tentatives de la part des populations indigènes de se regrouper (chap. 1 et 2). La deuxième partie, de 1971 à 1992, opère un grand renversement. D’une part, les missionnaires traversent une crise liée aux mutations globales du christianisme (chap. 3) ; d’autre part, surgissent d’autres acteurs fondamentaux, comme les anthropologues (chap. 4) ou les indigènes regroupés en organisations, qui luttent désormais pour faire reconnaître leur droit à la terre (chap. 5). Enfin, une dernière partie traite de la période très contemporaine, de 1993 à 2009, période où la région redevient le lieu d’un conflit géopolitique en partie éteint (chap. 6), et surtout voit la confrontation entre les organisations indigènes qui revendiquent les terres au nom de leur particularité et les intérêts économiques, notamment pétroliers, conflits qui aboutissent au drame de 2009 (chap. 7).
En raison de leur présence transversale dans le propos, nous soulignerons les principaux apports de l’ouvrage en suivant les groupes d’acteurs plutôt que la stricte chronologie proposée par l’auteure. Les courants religieux missionnaires sont les plus présents des années 1950 aux années 1970. L’État a délégué auprès d’eux la tâche d’intégrer ces territoires, en ouvrant notamment des écoles et en enseignant [End Page 164] l’espagnol au détriment des langues locales. Ce groupe hétérogène est...