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Reviewed by:
  • Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques by Pierre Charbonnier
  • Florian Charvolin
Pierre Charbonnier, Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques, Paris, La Découverte, « Sciences humaines », 2020, 460 p.

Pierre Charbonnier est l’un des rares philosophes français de l’environnement. Il nous livre un ouvrage issu de son habilitation à diriger des recherches et d’un séminaire qu’il a tenu à l’École des hautes études en sciences sociales, qui porte sur une histoire des idées du point de vue environnemental. Comme il l’explique en introduction, dans la lignée des histoires environnementales (p. 29), le propos n’est pas de faire une énième histoire de la pensée écologique, c’est-à-dire de prendre l’écologie comme objet de réflexions philosophiques, mais d’aborder l’histoire des idées politiques par le biais de leurs implications, tacites ou explicites, pour la gestion de, ou l’impact sur, l’environnement.

Pierre Charbonnier débute son histoire au xviie siècle et propose un voyage entre John Locke (1632–1704), François Quesnay (1694–1774), Adam Smith (1723–1790), François Guizot (1787–1874), Pierre-Joseph Proudhon (1809–1865), Karl Marx (1818–1883), Thorstein Veblen (1857–1929), Herbert Marcuse (1898–1979) et bien d’autres. Cette histoire sacrifie donc bien au premier abord à celle des grandes figures de la pensée politique, depuis le xviie jusqu’au xxie siècle.

Toutefois, ce livre vient combler un vide de l’enseignement des idées politiques dans les institutions académiques qui y consacrent une place centrale. Dans les années 1980, l’enseignement des idées politiques reprenait les grands penseurs de la chose publique depuis les Grecs, comme un champ autonome issu du partage disciplinaire en vigueur dans les instituts d’études politiques et les facultés de droit. Les idées politiques faisaient par exemple lignée d’un penseur politique à l’autre, d’un siècle à l’autre, de Platon à Bodin, de Machiavel à Marx, reprenant toujours les filiations historiques de la partie des grands textes qui se consacrait à la question du politique dans la cité et les amputant des considérations autres qu’ils recelaient. Les livres d’historiens des sciences commençaient cependant à remettre en cause cette clôture comme non historiquement pertinente pour des penseurs politiques héritant de la « philosophie naturelle », qui avaient entretenu des relations soutenues avec les chantres de la science expérimentale jusqu’à aujourd’hui.

Le livre de Pierre Charbonnier reprend en coupe les travaux de plus en plus nombreux qui soulignent la coévolution des idées sur la politique et des sciences de la nature. Pour autant, il ne traque pas les premières références à la « nature » et l’histoire de cette idée, comme elle a pu être proposée par le passé par Robert Lenoble, et plus récemment par Pierre Hadot. L’approche résolument environnementaliste de l’ouvrage consiste également à restituer la production des idées dans leur contexte économique, matériel et social, à la manière dont l’histoire des grandes figures scientifiques est devenue, dans les années 1980, une histoire « sociale » des sciences. Cette version n’est cependant pas strictement matérialiste, qui replongerait la superstructure des idées dans l’infrastructure économique, et ferait dépendre de la praxis, et [End Page 159] la liberté et le monde humain (p. 423). Il s’agit plutôt, pour Pierre Charbonnier, de restituer les grands penseurs dans leur activité et leurs multiples investissements, comme le rôle de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales dans la commande des textes de Hugo Grotius (1583–1645), ou l’influence des oppositions de modèles entre pays luttant pour l’hégémonie économique chez Johann Fichte (1762–1814) et sa pensée de l’idéalisme subjectif. C’est donc à une histoire réaliste et modeste des idées comme activité d’intellectuels de leur temps et de leur société que convie l’auteur, sans recours à une vision téléologique de l’histoire.

Cette histoire des idées politiques cherche à sortir du nominalisme du...

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