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Reviewed by:
  • La longue reconstruction de la France. À la recherche de la république moderne by Herrick Chapman
  • Antoine Prost
Herrick Chapman, La longue reconstruction de la France. À la recherche de la république moderne, Paris, Les Presses de Sciences Po, « Académique », 2021, 492 p.

Le livre d’Herrick Chapman, professeur à New York University, se compose de quatre chapitres centraux, consacrés à quatre domaines de l’action publique : l’immigration, le petit commerce, la famille et les nationalisations. Ils sont précédés par un chapitre sur la Libération et la légitimation des nouveaux pouvoirs publics, et suivis par deux chapitres plus politiques, un parallèle brillant entre Pierre Mendès France et Michel Debré et un chapitre sur la guerre d’Algérie, où l’on retrouve la question de la légitimité de l’État. Il unit ainsi la reconstruction de la société française et de son économie à la modernisation du système politique, ce qui le conduit jusqu’en 1962.

On pourrait discuter ce choix. La reconstruction ne s’achève certes pas en 1948, et H. Chapman étudie comment elle a cheminé jusqu’à la Ve République sans en faire un aboutissement nécessaire. Son livre est avant tout une analyse fouillée d’histoire sociale et politique, qui joint une approche « par en haut » des politiques publiques à une histoire « par en bas » des associations ou des syndicats, conjuguant ainsi technocratie et démocratie. Elle repose sur une impressionnante documentation qui couvre l’historiographie aussi bien française qu’anglo-saxonne du sujet, mais aussi sur des dépouillements où l’on reconnaît, au fil des notes infrapaginales, des archives de la Justice, de l’Intérieur et des Finances. C’est plus qu’une synthèse originale de seconde main car elle est nourrie opportunément de retours aux sources. Elle se lit avec un immense intérêt.

L’un des fils conducteurs est la question de la légitimité du pouvoir, décisive à la Libération. L’auteur montre à la fois comment de Gaulle utilisa sa visite à Bayeux et le défilé des Champs-Élysées, le 26 août 1944, pour se légitimer comme chef du Gouvernement provisoire de la République française et s’imposer aux résistants parisiens, et comment les comités départementaux de Libération (CDL) furent conçus pour remplir le vide de pouvoir qu’entraînerait l’effondrement de Vichy. Mais si les autorités par en haut et par en bas s’affrontent, notamment autour des milices patriotiques, elles se renforcent aussi : les CDL consolident l’autorité des préfets en leur demandant d’interner les collaborationnistes, et les préfets ou commissaires de la République, comme Farge ou Aubrac, donnent autorité aux résistants qu’ils chargent de maintenir l’ordre. Ces interactions reconstruisent une autorité publique, dans un climat qui reste éruptif jusqu’en 1945 dans certains départements.

La légitimité se conquiert par l’efficacité. Le nouveau pouvoir devait faire ses preuves en relançant l’économie. Or, elle manquait massivement de main-d’œuvre. Il entreprit d’y remédier, d’une part en employant jusqu’en décembre 1948 un [End Page 150] demi-million de prisonniers allemands transférés des États-Unis en France, d’autre part en supprimant les bureaux de placement privés et en confiant à l’Office national d’immigration (ONI) le monopole de la recherche, de l’accueil et du placement des travailleurs immigrés. Une législation favorable leur reconnut la liberté de choisir leur résidence et leur métier et créa des titres de séjour d’un, trois ou dix ans. Mais en 1947, pour 140 000 offres d’emploi, l’ONI recrutait 65 000 travailleurs. Épuré de ses membres communistes, il fut remplacé par un office purement consultatif. L’État cessait d’être un gestionnaire actif dans ce domaine. Pourtant les responsables gouvernementaux voyaient une continuité du dirigisme, « là où patronat et syndi-cats, pour des raisons différentes, identifiaient un changement » (p. 119).

Herrick Chapman passe ensuite non aux familles, mais aux commerçants...

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