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  • Introduction: La race du côté littéraire
  • Daniel Desormeaux

L’indicible surtout est une invitation à dire et redire sans cesse, un appel toujours renouvelé à la communication. D’un mot: tout est à dire et surtout ce qui a déjà été dit! Nous craignons qu’à force de parler de l’amour et de la mort les métaphysiciens et les poètes lyriques ne nous aient rien laissé à dire? Autant craindre que le devenir, depuis si longtemps qu’il devient, ne finisse par actualiser tous les possibles, autant craindre que toute potentialité en ce monde ne soit condamnée à la totale déperdition. Ces craintes absurdes sont d’ailleurs apparentées à l’espérance non moins absurde de n’avoir un jour plus rien à faire, autrement dit de convertir tout le devoir en chose faite par prélèvement progressif de la res facta sur le faciendum (Jankélévitch 1: 59).

L’étonnant érudit des races anciennes, Arthur Joseph Gobineau, a pris le soin d’écrire le plus longuement possible sur leurs inégalités en sorte qu’aucun contradicteur ne soit en mesure de le réfuter point par point. Et l’anthropologie de Paul Broca, dont il fut le père spirituel, lui emboîta le pas en déchargeant principalement sur les crânes des nègres des coups de canons axiomatiques qui devraient imposer le silence. Face à ces menaces sérieuses du scientisme, un Haïtien, Joseph Anténor Firmin, s’est objecté timidement mais avec précision dans De l’égalité des races humaines en 1885. Bien avant qu’Émile Durkheim souligne que “non seulement le vulgaire, mais les anthropologistes eux-mêmes emploient le mot [race] dans des sens assez divergents” (“Suicide” 54), Firmin avait déjà mis sens dessus dessous, comme des dés que l’on jette, les mots “race” et “inégalité” pour déduire que la vérité apparente reposait uniquement sur des démonstrations apodictiques que les tenants de l’anthropologie raciale à l’époque jetaient par hasard. Plus de cent trente ans plus tard, il n’y a rien que l’on puisse prouver sur l’égalité ou l’inégalité des races en dehors du fait que le mot “race” est impondérable et qu’il est une machine à réduire en abstractions idéologiques [End Page 186] nos capacités de penser ensemble au développement de l’immense variété de nos possibles humains. Contre les brillantes intolérances qui font une bouchée de l’unité de la race, il faut invoquer deux grands adversaires de l’antisémitisme et de la xénophobie qui ont cru que tout n’est jamais dit sur l’amour, c’est-à-dire sur la seule chose qui neutralise la peur de l’Autre et atténue les verdicts racialisants. Anatole France, grand dreyfusard devant l’Éternel, dit que les gens, qui se heurtent sur le manque d’originalité d’un texte poétique, devraient peutêtre réfléchir plusieurs fois, car, en ouvrant le premier livre de poésie en vue, ils découvriront qu’il n’y a rien de plus répétitif qu’une déclaration d’amour:

Nos littérateurs contemporains se sont mis dans la tête qu’une idée peut appartenir en propre à quelqu’un. On n’imaginait rien de tel autrefois, et le plagiat n’était pas jadis ce qu’il est aujourd’hui. [ . . . ] Je déplie avec précaution une mince bande de papier enroulée à la tige et je lis ces mots tracés d’une encre pâlie: J’aime bien Marie, le 26me de juin de l’an 1695. Et cela me retient dans l’idée qu’il y a dans les sentiments des hommes un vieux fonds sur lequel les poètes mettent des broderies délicates et légères, et qu’il ne faut pas crier au voleur dès qu’on entend dire j’aime bien Marie, après qu’on l’a dit soi-même. Nous disions que le plagiat n’était pas considéré jadis tout à fait comme il l’est aujourd’hui. Et je...

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