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  • Approches internationales de l'histoire agraire
  • Pierre Cornu
Christopher Isett et Stephen Miller, The Social History of Agriculture. From the Origins to the Current Crisis, Lanham, Rowman and Littlefield, 2017, 422 p.

C'est toujours avec un mélange de curiosité et d'appréhension que l'on ouvre un volume qui prétend faire l'histoire de quelque chose à l'échelle du monde et depuis les origines, à plus forte raison quand l'ouvrage en question ne s'inscrit ni dans le genre de la vulgarisation ni dans celui du dictionnaire ou de l'encyclopédie. Même à deux mains, en effet, cela relève du tour de force d'écrire une histoire sociale de l'agriculture, qui plus est quand il faut comprendre dans le projet non pas une histoire des structures et relations sociales au sein des mondes agricoles, mais une histoire totale de l'évolution de l'agriculture au prisme des logiques sociales. Pourtant, Christopher Isett, associate professor à l'Université du Minnesota, spécialiste de l'histoire économique et sociale de l'Asie orientale à l'époque contemporaine, et Stephen Miller, associate professor à l'Université d'Alabama, spécialiste de la France au XVIIIe siècle, ne se sont laissé ni impressionner par le défi ni écraser par la tâche. Économes de leurs forces et s'adressant à un public d'étudiants avancés et de chercheurs intéressés par la discussion théorique à partir de l'histoire comparée, ils proposent un ouvrage d'un format raisonnable, intelligemment construit à partir d'une proposition théorique exposée dans une brève introduction, suivie de dix chapitres chrono-thématiques qui en testent la validité dans des moments et des lieux jugés emblématiques des évolutions de la question agraire, du néolithique à la crise écologique actuelle.

S'inscrivant dans la filiation de l'approche historique d'inspiration marxiste de Robert Brenner, les auteurs partent du postulat que c'est l'ordre social qui structure l'espace des possibles du développement agricole, et non le marché ou les conditions biophysiques. Réfutant les thèses de l'économie classique, ils nient au marché la capacité à stimuler de manière décisive les orientations productives et les choix techniques. Ce sont, changeantes selon les lieux et les époques, les formes de la domination qui créent ou non un espace pour des productions agricoles destinées au marché. Dans cette optique, le capitalisme agraire apparaît non seulement comme une option tardive, mais non nécessaire, et in fine non souhaitable, du développement agricole. C'est ainsi tout le propos du livre d'en relativiser la portée historique.

De fait, il y a des échos de L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État de Friedrich Engels dans le premier chapitre de l'ouvrage consacré aux origines de l'agriculture, qui porte pour sous-titre « The Ancient Origins of Community, State, and Empire ». Nécessairement fondé sur des lectures de seconde main et une analyse très sélective de la néolithisation, ce chapitre est de fait une simple [End Page 181] mise en perspective du sujet, davantage nourrie d'anthropologie comparée que d'archéologie. Le deuxième chapitre, consacré à un panorama des systèmes agraires précapitalistes, est déjà plus fourni, revenant sur la question du féodalisme, pour l'orienter vers l'idée d'une accumulation primitive non de capital, mais de puissance politique, préparant l'expansion armée de l'Europe. Mais la littérature mobilisée par les auteurs, soit un peu ancienne, soit de synthèse, ne leur permet pas d'aller au-delà de quelques idées générales sur les grandes aires de civilisation.

C'est avec le chapitre 3, consacré à la « divergence » des modèles de développement agricole entre les deux périphéries maritimes de l'Eurasie, que les auteurs entrent véritablement en spécialistes dans les controverses historiographiques et dans le débat théorique sur la divergence des mondes agraires. Sans surprise, c'est l'Angleterre des enclosures qui accapare leur attention, avec la volont...

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