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  • Nous nous reverrons aux barricades: les feuilletons des journaux de Proudhon (1848–1850) par Vittorio Frigerio
  • Claudie Bernard
Frigerio, Vittorio. Nous nous reverrons aux barricades: les feuilletons des journaux de Proudhon (1848–1850). UGA, 2021 ISBN 978-2-37747-232-1. Pp. 229.

Frigerio se propose d’explorer les paradoxes de la publication de romans-feuilletons historiques dans les journaux de Proudhon, organes libertaires qui leur sont théoriquement hostiles, et de préciser la conception de l’Histoire et du roman propres à ces milieux. Après avoir présenté le “père de l’anarchisme” et les quatre journaux qu’il dirigea à la fin des années 1840, Frigerio commente sa méfiance visà-vis des artistes, sa haine du romantisme et de l’art pour l’art bourgeois, mais aussi son mépris du feuilleton tel qu’il prolifère alors dans La Presse de Girardin ou dans Le Constitutionnel, et tel que le pratique Dumas. Eugène Sue échappe à la condam -nation, car la seule littérature de masse tolérable selon Proudhon est une littérature réaliste à thèse (la sienne bien entendu), capable d’atteindre et d’encourager les prolétaires. Les feuilletons accueillis dans Le Peuple, tourné vers l’actualité, sont rarement des romans historiques—sauf s’ils traitent de l’insurrection parisienne de 1832, séquelle ratée de 1830, dont il n’est pas facile de parler juste après 1848. Elle inspira le roman de Marius Rey-Dussueil Le cloître de Saint-Méry (1832), condamné pour provocation à la rébellion, et figure dans Horace de George Sand, Le juif errant de Sue, l’épisode de la rue de la Chanvrerie dans Les misérables. Frigerio analyse minutieusement Le mont Saint-Michel d’A.-C. Blouet, dont de larges extraits sont reproduits en annexe, et dont le protagoniste est un reflet de Charles Jeanne, l’un des leaders de 1832. Il montre comment la focalisation sur les tribulations privées, l’assimilation du traître en amour et du traître en politique, l’intervention de la “main de Dieu”, la fin matrimoniale et morale, toutes techniques feuilletonesques, inten -sifient la grande Histoire. Invoquant tant Stendhal et Michelet que Hayden White, il interroge le rôle du “détail” dans le récit. Il compare, dans des textes de genres divers—témoignage de Charles Jeanne, Histoire de dix ans de Louis Blanc, Mémoires d’Alexandre Dumas, œuvres de Hugo et Blouet—la représentation de moments saillants, des funérailles du général Lamarque aux ultima verba sur la barricade, et dégage le sens de l’événement, inséré dans un tout plus vaste chez Hugo, filtré par le “je” chez Dumas, précurseur de 1848 chez Blouet. Il médite sur la minoration de la femme dans le roman-feuilleton comme dans les cercles libertaires, sur l’héroïsation du chef, pourtant suspecte à ces mêmes cercles, sur le partage du récepteur entre enthousiasme et ennui, ainsi que de l’écriture entre divertissement et didactisme. Il rappelle que, tout en vitupérant Dumas et Hugo, Proudhon s’entoura de collaborateurs provinciaux pour faire du roman historique feuilletonesque une arme dans la lutte ouvrière. Cette monographie, bien documentée, bien argumentée, écrite avec verve et souvent humour, qui ressuscite une convulsion secondaire évacuée des manuels et des mémoires, et confronte un auteur obscur aux grands et moins grands contemporains, éclaire puissamment l’idéologie proudhonienne, dans ses excès et ses contradictions, et apporte une contribution essentielle à notre connaissance de la fiction historique, et surtout feuilletonesque. [End Page 222]

Claudie Bernard
New York University
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