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  • Les métamorphoses du travail contraint. Une histoire globale (XVIIIe-XIXe siècles) by Alessandro Stanziani
  • Lucas Puygernier
Alessandro Stanziani, Les métamorphoses du travail contraint. Une histoire globale (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, Presses de Sciences Po, 2020, 328 p.

Les grands penseurs du capitalisme ont classiquement fait du salariat l'horizon des sociétés modernes. Pour Karl Marx et Max Weber, si la contrainte se cache certes dans le travail libre, les formes d'exploitation, telles que l'esclavage ou le servage, sont elles autant d'archaïsmes dont il est prédit le dépérissement inéluctable. Ainsi, selon le premier, les « forces extra-économiques » qui autrefois commandaient le travail, une fois la production capitaliste en branle, se retirent de l'accumulation économique qui, douée de sa mécanique propre, se reproduit désormais d'elle-même ; selon le second, la rationalisation et la bureaucratisation de l'industrie requièrent indubitablement la liberté formelle des travailleurs13.

L'ouvrage d'Alessandro Stanziani se veut alors l'antidote, comme le titre le suggère, d'un récit des « métamorphoses de la question sociale », qui aboutiraient nécessairement au dépérissement des formes de travail contraint et au triomphe du travail salarié libre. Il ne faut pas pour autant s'attendre à y trouver une « chronique du travail contraint », qui serait le pendant opposé de la célèbre « chronique du salariat » de Robert Castel14, en retraçant ainsi les évolutions du travail non libre au cours des siècles. Plutôt qu'une chronologie, c'est un « moment » que choisit d'éprouver l'auteur, celui des grandes transformations des économies et du travail des XVIIIe et [End Page 210] XIXe siècles. Ce « moment », c'est également celui pendant lequel Joseph Conrad effectuait ses nombreux voyages, romançant, parfois taisant, les formes brutales de travail contraint qu'il découvrait à travers le monde. Alessandro Stanziani traverse le globe dans son ouvrage selon une trajectoire presque parallèle à celle du romancier que, de façon originale, il fait dialoguer avec son exposé. Le procédé souligne alors la contemporanéité des diverses modalités de travail contraint abordées dans le livre à cette époque de brusque accélération de l'économie mondiale, à l'époque également où s'engageaient âprement les débats relatifs aux droits nouveaux à accorder aux travailleurs des métropoles impériales.

C'est donc bien une histoire globale du travail contraint à laquelle se livre l'auteur, se fondant pour l'essentiel directement sur ses propres travaux de recherche, accumulés tout au long de sa carrière – quelques chapitres relatifs au travail dans les métropoles coloniales (chap. 3) et aux mouvements abolitionnistes occidentaux reposent davantage sur des sources secondaires (chap. 4 et partiellement 6). Sans prétendre résumer l'ensemble des arguments et des débats historiographiques qu'il engage, signalons les nombreux régimes de travail discutés dans l'ouvrage. On y apprend ainsi le fonctionnement du servage russe et des débats ayant conduit à son abolition à la fin du XIXe siècle, un système tiraillé entre les volontés des propriétaires fonciers de s'attacher une main-d'œuvre et celles de l'État, peu enclin à réprimer un mouvement de fuite qui participait à coloniser les régions périphériques de l'empire (chap. 1 et 6). On y découvre la condition des marins français et britanniques au XVIIIe siècle, pris entre d'une part les pratiques de recrutement forcé des armateurs et recruteurs militaires, légales (le système de « la presse ») ou plus illicites (les embauches arrosées dans les tavernes des ports, voire les rapts), et les interdictions de rompre prématurément les contrats d'autre part (chap. 2). On y lit encore les principes qui gouvernaient l'engagisme (indenture) dans les plantations sucrières des Mascareignes, qui défendaient également aux immigrés de quitter leur employeur avant l'expiration de leur contrat sous peine d'être poursuivis pour « désertion » et pour « vagabondage » (chap. 5). Enfin, le dernier chapitre, « Au c...

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