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Reviewed by:
  • Philanthropes en 1900 dir. by Christian Topalov
  • Matthieu Brejon de Lavergnée
Christian Topalov (dir.), Philanthropes en 1900. Londres, New York, Paris, Genève, Grâne, Créaphis, 2019, 680 p.

Vingt ans après La nébuleuse réformatrice, Christian Topalov poursuit ses recherches autour de la philanthropie et des milieux réformateurs à la Belle Époque et nous offre un splendide ouvrage à sa façon : une leçon de méthode d'une rigueur exemplaire, [End Page 158] un travail collectif où il a lui-même beaucoup donné, une approche comparée plus que transnationale fondée sur une connaissance intime de ses terrains d'enquête.

Si le livre s'ouvre sur la « philanthropie » et s'achève sur « l'État social », il s'inscrit pourtant dans la veine historiographique qui a remis en cause les schémas trop linéaires par lesquels l'assurance se substituerait à l'assistance, la sécurité sociale à la charité, le droit au don. Le comparatisme révèle aussi quelques surprises : ainsi la « densité charitable » (nombre d'œuvres rapporté à la population) est à Paris le double de Londres et de New York, alors que les développements futurs du Welfare State auraient pu laisser supposer l'inverse. S'il y eut bien des ruptures, Christian Topalov préfère souligner les continuités ; elles s'enracinent dans ce qui se joue dans les années 1900, notamment en France à l'heure du « concordat charitable » qui voit œuvres privées et institutions publiques partager un certain nombre d'acteurs et de causes.

Or, malgré de nombreuses publications sur le champ charitable/assistantiel, c'est bien une vue d'ensemble qui fait défaut, à l'instar du travail de Catherine Duprat sur le Paris des années 1820-1840. Aussi l'enquête s'appuie-t-elle sur une source principale que sont les répertoires d'œuvres produits en Europe et aux États-Unis par les principales organisations philanthropiques. Massifs recueils, régulièrement mis à jour, ils classent les œuvres par objet, donnent leur(s) adresse(s), indiquent souvent le nom de leurs responsables, parfois leur budget, voire un bref historique. Cinq d'entre eux ont été plus systématiquement traités dans cette enquête : Paris charitable et prévoyant (1897 : 2 172 œuvres), publié par l'Office central des œuvres de bienfaisance ; le Manuel des œuvres (1900 : 1 231 œuvres), émanation du milieu des catholiques intransigeants ; le New York Charities Directory (1900 : 938 œuvres), publié par la Charity Organization Society ; le Charities Register and Digest (1890 : 1 449 œuvres), publié à Londres par une Charity Organisation Society également ; l'Annuaire philanthropique genevois (1903 : 436 œuvres), édité enfin par la Société genevoise d'utilité publique. Le contenu de ces sources est relativement pauvre : une notice de quelques lignes offre bien moins d'informations que les archives des institutions charitables, mais celles-ci ont rarement subsisté dans le cas de la poussière d'œuvres typique du XIXe siècle. Aussi l'analyse de réseaux et l'analyse textuelle permettent-elles de décrypter ces mondes charitables en prêtant une attention particulière à la manière dont ils se donnent à voir, démarche qui consiste à « adopter le point de vue de la source » (p. 92).

La description ethnographique de la source méritait bien un (trop ?) long détour car elle révèle que les répertoires constituent eux-mêmes un mode d'action sur le monde charitable. « Recenser les œuvres était déjà agir sur celles-ci » (p. 56), écrit justement Christian Topalov : figurer dans un répertoire, c'est contribuer à la légitimité de celui-ci autant que de l'œuvre recensée. Viser l'exhaustivité, dans une démarche annexionniste (jusqu'aux écoles et hôpitaux à Paris, aux bibliothèques et musées à New York), c'est définir un espace légitime d'intervention pour la philanthropie, bref, c'est marquer un territoire dans un champ concurrentiel, celui d'un « sport de riches ». Les nomenclatures et le vocabulaire retenus disent aussi les causes légitimes, « centrales », et les marginales, « périphériques », qui ne sont pas partout les mêmes, ainsi du...

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