- Histoire des polices en France. Des guerres de Religion à nos jours dir. by Vincent Milliot
C'est peu dire que, ces derniers temps, la police a été plus que jamais sous les feux de l'actualité–et des critiques. De façon plus neuve, le besoin d'une mise en perspective historique s'est fait sentir au coeur de la crise des gilets jaunes pour comprendre comment on en était arrivé ou revenu là, à ce point d'antagonisme frontal entre forces de l'ordre et manifestants. L'historicité de la doctrine d'emploi dans la gestion des foules contestataires a ainsi fait une entrée remarquée dans l'analyse médiatique, sociologique et politique, sans pouvoir s'imposer durablement tant le champ sensible des « violences policières » est propice aux réactions épidermiques ou aux généralisations systémiques. L'histoire historienne des polices qu'offre cette riche synthèse, et même luxueuse–avec son iconographie aussi pédagogique qu'esthétique –, donne non seulement les moyens d'appréhender les configurations résultant de la pression sociale, des injonctions politiques, de la composition des personnels, des savoirs professionnels ou des seuils de tolérance, qui font et défont les modes d'encadrement et d'affrontement, mais aussi d'agencer les autres facettes des polices. En cela, l'ouvrage, si sensible aux sollicitations pressantes du présent, et soucieux d'y [End Page 173] répondre au rythme lent d'histoires longues et superposées, réalise les ambitions de la collection « Références » qu'il inaugure (« offrir à chacun un regard neuf sur notre passé […] à partir des grandes interrogations et des sujets d'aujourd'hui »).
Ce livre rejoint d'ailleurs une autre actualité. Si les débats sur la LPPR (loi de programmation pluri-annuelle de la recherche) ont mis en évidence le malaise face au management de la recherche, la police fournit en contrepoint l'exemple d'un chantier au long cours, qui a abouti à cette synthèse vivifiante après s'être structuré dans le cadre universitaire de la transmission (notamment avec le séminaire de Jean-Noël Luc à Paris-Sorbonne, dès 1998), consolidé par le partenariat avec des institutions policières, nourri des contrats financés par l'ANR, internationalisé en connectant les réseaux. Voici donc une oeuvre qui porte haut l'utilité sociale de l'histoire–et l'anaphore finale, « toute l'histoire de la police montre que… » (p. 639), assume cette position–et redonne foi dans les vertus de l'accumulation des connaissances et du croisement des problématiques, justifiant l'entreprise après la précédente somme de Jean-Marc Berlière et René Lévy, axée qu'elle était sur la période récente, malgré son titre 10.
Le jeu d'échos avec les questions d'actualité ne se limite pas au volet des relations police-populations. On apprécie ainsi la remise en perspective du Code noir au sein des visées codificatrices à l'oeuvre durant les années Colbert. Le livre fournit des réponses aux interrogations passées ou à venir. Inévitablement, on lit aujourd'hui avec une attention soutenue le passage consacré à la peste de Marseille en 1720 (p. 116-118), comme accélérateur des transformations policières. Le dialogue inter-périodes n'a pas même besoin du questionnement présent pour se nouer : les développements sur la police économique sont, comme on pouvait s'y attendre, abondants pour l'Ancien Régime, mais ils résonnent aussi dans les années 1930 (p. 508). Des parcours de lecture s'ouvrent ainsi parallèlement au séquençage adopté (I. Les polices entre villes et État. Des guerres de Religion à la Révolution française ; II. Le temps des Révolutions ; III. Un siècle d'affirmation policière, 1830-1871 ; IV. Un « malaise des polices » ? Des années 1930 à nos jours) et font apparaître une succession de...