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Reviewed by:
  • Hochelaga, Terre des âmes by François Girard
  • Catherine Larochelle
Hochelaga, Terre des âmes. François Girard (réal.) Les films Séville, 2018

Le plus récent film du réalisateur François Girard, Hochelaga, terre des âmes, est une fresque historique ayant pour thème l'histoire du territoire que nous nommons aujourd'hui Montréal (Tiohtià:ke). Pensé par Girard comme un retour aux sources, le long métrage présente cinq tableaux (1267, 1535, 1687, 1837 et 2011–17) où se mêlent la présence–immémoriale–des Premiers Peuples, la colonisation et la bonne entente entre les différents groupes habitant cette terre des âmes. Déjà saluées par plusieurs critiques, la présence à l'écran des acteurs, actrices, figurants et figurantes d'origines autochtones diverses ainsi que la place faite au kanien'kéha et à l'algonquin sont déterminantes et innovantes pour un film de cette envergure (budget de 15 millions de dollars). À certains moments, les dialogues en kanien'kéha ne sont pas sous-titrés (à moins qu'il y ait eu problème technique lors de mon visionnement). Ce procédé, déstabilisant, laisse perplexe quant à l'effet obtenu : se retrouve-t-on–comme Cartier–devant une culture dont nous ne possédons pas les clés, et dont l'accès, nous rappelle-t-on, ne nous est pas dû? Au contraire, n'élimine-t-on pas là une possibilité d'accéder à l'intelligibilité et la vision du monde (et de la rencontre) de ce peuple ? Dans tous les cas, les tableaux sont si rapides (rappelons que le film ne dure qu'une heure trente-neuf minutes) qu'il ne nous est pas permis de prolonger assez longuement le contact avec ces langues pour en retirer quelque chose de profond.

C'est comme historienne des représentations–et notamment des représentations des Premiers Peuples dans la culture canadienne-française–que j'ai visionné le film de Girard. Quoique je comprends que l'oeuvre a été faite en collaboration avec différents groupes et avec une intention humaniste, les représentations de l'histoire et des différents groupes qu'elle propose restent à mon avis excessivement coloniales et patriarcales. Les tableaux de 1535, 1687 et 1837 sont des moments clés du « Grand Récit » québécois nationaliste de l'histoire : le voyage de Jacques Cartier, les débuts de la colonie française (et son mythe du métissage) et les rébellions des Patriotes. L'ajout d'une scène en 1267 et la présentation d'une métropole cosmopolite au 21e siècle ne diminuent pas la charge coloniale du film : il aurait fallu temporaliser autrement l'histoire représentée pour prétendre s'éloigner de la narration traditionnelle de l'histoire.

Le titre–Terre des âmes–évoque bien le véritable point commun aux différents tableaux : la mort. Mais pas n'importe laquelle. À l'exception de la représentation de la rencontre de Cartier et des habitants du village d'Hochelaga, tous les tableaux mettent en scène la mort. Dans la scène qui ouvre et clôt le film (1267), nous voyons les corps étendus de plusieurs guerriers autochtones (haudenausaunee?). Ce choix scénaristique laisse songeur : n'est-on pas là devant une énième représentation de l'« Indien mort », thème prisé dans la culture nord-américaine blanche depuis les années 1830 (et bien documenté, notamment par les historiens et historiennes autochtones). Étonnamment, pour le reste, ce sont des (Canadiens) français que nous voyons mourir. Autrement dit, les seules morts autochtones du film sont celles de 1267 causées par un conflit entre Premières Nations. Dans ce film, ce sont les Canadiens français les victimes de la colonisation, ce sont eux qui meurent des épidémies, eux qui [End Page 335] sont persécutés par l'Église (1687) puis par l'armée britannique (1837) et eux toujours qui, en 2011, trouvent la mort dans un glissement de terrain. Il s'agit là d'une impressionnante contorsion de l'histoire, un effacement des effets de...

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