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  • Une fille en correction : Lettres à son assistante sociale, 1952-1965 by Jean-François Laé
  • Emmanuel Delille
Laé, Jean-François –Une fille en correction : Lettres à son assistante sociale, 1952-1965. Paris, CNRS Éditions, 2018, 264 p.

Jean-François Laé est sociologue, auteur d'une dizaine d'ouvrages scientifiques publiés seul ou en collaboration, notamment avec les historiens Philippe Artières et Arlette Farge. Ce nouveau livre a pour point de départ les archives d'une association chargée de la protection de l'enfance. Dans ce fonds, l'auteur a fait le choix de concentrer son attention sur un lot de 160 lettres échangées entre une jeune femme de 20 ans, Micheline, enceinte hors mariage et mineure (la majorité civile est alors fixée à 21 ans en France), et son assistante sociale, Odile (pseudonymes choisis par l'auteur pour anonymiser ses sources). Les échanges ont eu lieu dans la région d'Avignon de 1953 à 1970, ce qui fait plonger le lecteur dans l'histoire sociale, politique et culturelle du sud de la France au cours de l'après-guerre.

L'histoire de la déviance féminine est riche de travaux récents et variés, aussi bien du point de vue du genre et des identités sexuées que de l'histoire de la justice. Pour citer seulement deux noms à cette intersection, rappelons que Karine Lambert a publié un travail sur la fin de l'Ancien Régime qui prenait déjà le sud de la France comme lieu d'observation (Itinéraires féminins de la déviance, [End Page 213] 2012), tandis que Véronique Blanchard vient de faire paraître les résultats de sa recherche sur les représentations de la « mauvaise fille » dans l'après-guerre (Vagabondes, voleuses, vicieuses, 2019). Jean-François Laé s'inscrit davantage dans une histoire de l'éducation surveillée. Une des originalités de son approche réside dans la manière dont il construit ses objets en conjuguant méthode historique et sociologie narrative pour étudier des documents d'archives et des parcours de vie. Il se livre ainsi à une exploration de la société contemporaine qui articule certains concepts opératoires du philosophe Michel Foucault et la tradition narratologique française, notamment l'analyse des « récits de soi ». Pour ce faire, Jean-François Laé valorise un type de source habituellement peu mobilisé par les historiens : les correspondances, c'est-à-dire les lettres échangées entre les acteurs, dont des extraits sont reproduits. L'ouvrage est également doté d'une iconographie qui précise le rapport de l'auteur à l'archive et contribue à reconstruire l'univers culturel de Micheline et Odile.

Micheline a obtenu son certificat d'études en 1947, malgré des origines sociales modestes. Elle a 15 ans lorsqu'elle commence à travailler. La famille vit à grand-peine chez la grand-mère et Micheline rapporte son maigre salaire à sa mère, qui élève seule trois enfants. Mais Micheline aime le bal, les garçons, la liberté et finit par fuguer. Elle coupe les ponts avec sa famille en 1950 pour ne reparaître qu'un an plus tard, manifestement à la rue. En 1952, elle est signalée par un hôpital où elle a trouvé refuge, une cheville foulée et enceinte de trois mois. Comme elle n'est pas majeure, sa mère demande son placement au nom du droit de correction : à l'époque celui-ci signifie la possibilité de faire appel à l'autorité publique pour faire redresser ses enfants. Une enquête est alors ordonnée par un juge. C'est ainsi qu'Odile est chargée d'une enquête sociale sur Micheline et sa famille, au terme de laquelle Micheline est placée au Centre de filles-mères de la Roseraie à Marseille, une institution de correction parmi bien d'autres.

Dans ce lieu fermé, elle se montre tour à tour docile et insoumise, fugue à nouveau ou fomente des rébellions avec d'autres pensionnaires. Jean-François Laé analyse finement la relation qui se construit entre Micheline et Odile dans l'espace épistolaire : « le plus quotidien s'expose...

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