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Reviewed by:
  • Voices of Guinness. An Oral History of the Park Royal Brewery by Tim Strangleman, and: Closing Sysco. Industrial Decline in Atlantic Canada's Steel City by Lachlan MacKinnon
  • Steven High
Tim Strangleman, Voices of Guinness. An Oral History of the Park Royal Brewery, New York, Oxford University Press, 2019, 208 p.
Lachlan MacKinnon, Closing Sysco. Industrial Decline in Atlantic Canada's Steel City, Toronto, University of Toronto Press, 2020, 304 p.

Le concept de classe est devenu un outil d'analyse marginal dans les sciences humaines et sociales, précisément au moment où la désindustrialisation rapide des petites et grandes villes ouvrières d'Europe et d'Amérique du Nord le rendait d'autant plus nécessaire. [End Page 273] C'est une des raisons qui expliquent que si peu de gens aient vu venir Trump, le Brexit ou la montée en puissance du populisme de droite. Loin d'être une coïncidence, l'effacement symbolique de la classe et de la lutte des classes depuis les années 1980 participe d'un processus plus global d'invisibilisation des classes populaires. Comme nous le rappelle l'historienne Jackie Clarke, l'invisibilité n'implique pas « une disparition totale, mais diverses formes de marginalisation, d'obstruction et de disqualification18 ». De fait, « le geste politique consistant à renvoyer le travail industriel au passé plutôt qu'au présent est l'un des mécanismes les plus fréquents » par lesquels notre présent pourtant toujours industriel est « escamoté sous nos propres yeux19 ».

Si la désindustrialisation de villes et de régions entières a souvent été accueillie avec une sorte de fatalisme collectif, certains membres de la classe moyenne ont vu ces bouleversements d'un bon oeil. Après tout, ces industries étaient déshumanisantes et polluantes, souvent dominées par les hommes, et étroitement associées à l'impérialisme et au colonialisme de peuplement. N'importe laquelle de ces préoccupations est susceptible de recontextualiser politiquement une fermeture d'usine en une mesure d'intérêt général, surtout pour qui se trouve à une certaine distance sociale des personnes les plus directement affectées. Mais il se passait encore autre chose. Ainsi, lorsque l'anthropologue Kathryn Marie Dudley interrogea des enseignants de Kenosha, une ville du Wisconsin en voie de désindustrialisation, ils lui répondirent que maintenant leurs élèves issus de milieux modestes prendraient peut-être leurs études au sérieux. J'ai observé la même réaction au cours de mes propres enquêtes, et je n'ai pas été le seul. Aux yeux de certains employés de la classe moyenne, les cols bleus n'avaient tout simplement pas mérité d'avoir un salaire ou un niveau de vie semblables aux leurs. Nombre d'ouvriers devaient leur ascension sociale à des négociations collectives plutôt qu'à leur réussite personnelle, or la solidarité sociale n'a guère de place dans l'esprit de ceux qui croient que nous vivons réellement en méritocratie. Les fermetures d'usine font alors office de « rituel de dégradation du statut : c'est une reconnaissance culturelle du fait que les ouvriers ont un statut social inférieur à ce qu'ils voulaient faire croire20 ».

De ce chaudron économique et politique est sorti un nouveau champ de recherche interdisciplinaire consacré à la désindustrialisation. Dans les pays anglophones, les travaux se sont dans un premier temps concentrés sur les raisons économiques profondes du déclin industriel, sur son ampleur et son étendue, de même que sur la réaction politique des syndicats et des pouvoirs publics. Depuis les années 1990, l'histoire orale joue un rôle central dans l'étude de ce phénomène. Nombre de textes importants s'appuient sur la vie d'ouvriers licenciés, s'attachant à restituer leur vécu et le sens subjectif qu'ils donnent au travail industriel et à sa perte. Si l'on veut comprendre ce que représente la perte d'emploi pour ceux qui en sont victimes et leur famille, il faut en effet comprendre « l'avant » et « l'après » ; c'est ainsi seulement qu...

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