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Reviewed by:
  • Enfants du Goulag by Marta Craveri et Anne-Marie Losonczy
  • Luba Jurgenson
Marta Craveri et Anne-Marie Losonczy, Enfants du Goulag, Paris, Belin, « Contemporaines », 2017, 279 p.

Si l'existence du Goulag n'est plus sujette à débat, si les querelles autour des chiffres se sont calmées, le phénomène des déportations spéciales, pourtant bien documenté, reste en marge de la perception commune occidentale et a été peu exploré dans la littérature scientifique autre qu'historienne. L'expérience des enfants déportés, notamment, peine à se constituer en un objet d'étude spécifique (à la différence des enfants de la Shoah). Certes, Soljenitsyne consacrait déjà un chapitre aux enfants des camps, arrêtés pour délits politiques, aux orphelins happés par le monde du crime, aux naissances derrière les barbelés. L'ouverture des archives a permis de mieux comprendre le statut des enfants déportés : ainsi, en 2002, un recueil de documents et de témoignages a été publié à Moscou sous le titre Deti Gulaga (enfants du Goulag), suivi d'anthologies traduites en anglais et en italien. Ces ouvrages, bien utiles, se focalisaient sur les conditions de vie des jeunes, laissant de côté la dimension intime de ces expériences : celles de trois millions d'orphelins jetés dans les rues par la guerre civile, les famines et la terreur, raflés dans le cadre d'une gestion policière de l'errance et de l'abandon ; celles des enfants déportés avec leurs familles pendant la dékoulakisation et les « opérations nationales ». C'est bien ce vide qu'entend combler l'ouvrage pionnier de Marta Craveri et Anne-Marie Losonczy en désignant cette population enfantine comme une catégorie de victimes à part pour lui donner la visibilité dont elle a manqué jusqu'à présent. Les auteures [End Page 253] rappellent ainsi que le Goulag administrait non seulement les camps, mais également les villages de peuplement regroupant des déportés spéciaux qui n'avaient pas statut de détenus et qui, à la différence de ces derniers, n'avaient pas fait l'objet d'une condamnation individuelle, mais d'une mesure frappant collectivement leur communauté nationale et/ou sociale. Collaboratrices du programme « Mémoires européennes du Goulag (archives sonores) », dans le cadre duquel cette collecte de témoignages a été réalisée, l'historienne Marta Craveri et l'anthropologue Anne-Marie Losonczy tissent un dialogue pluridisciplinaire aboutissant à un ouvrage remarquable tant par les documents qu'il met à notre portée que par sa richesse et sa finesse méthodologiques. Notons au passage qu'Anne-Marie Losonczy (fille de Géza Losonczy, ministre d'État dans le gouvernement d'Imre Nagy, mort en prison en 1957) a connu elle-même, à l'âge de 7 ans, l'expérience de la déportation de sa Hongrie natale vers la Roumanie.

Le programme « Mémoires européennes du Goulag » mettait déjà l'accent sur les vécus personnels de la déportation et se focalisait sur les populations des territoires européens devenus soviétiques ou entrés dans la zone d'influence de l'URSS, envahis ou annexés : Polonais, Baltes, Hongrois, etc. Mise en évidence dans ce programme, la différence de leur perception de la déportation, par rapport à celle des Soviétiques, est proposée comme une des hypothèses de base de l'ouvrage ; ce qui fait l'originalité de celui-ci au sein de ce vaste projet, c'est que ces identités « occidentales » soumises à la soviétisation forcée sont étudiées dans leur période enfantine.

Ces expériences se déclinent en cinq chapitres alternant témoignages et analyses : « Arrachements », « Souffrances », « Grandir », « L'éclatement. Retours de déportation » et « Se souvenir », qui proposent une trame de lecture à la fois chronologique, de l'arrestation au rapatriement, et transversale, visant à inscrire ces destins dans le contexte plus large des répressions soviétiques. Dans un va-et-vient entre le regard de l'enfant et la parole de l'adulte, cette mosaïque met en lumière ce que les r...

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