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  • Introduction Écrire pour tous:Vers l’écrivain total
  • Kodjo Attikpoé (bio) and Anne Schneider (bio)

L’institution littéraire s’est longtemps attachée à tenir à l’écart certains “modes d’expression langagière à caractère lyrique ou narratif” (Angenot 10) en raison de leur prétendu déficit de littérarité. Marc Angenot, farouche défenseur de ces productions, subsumées alors sous le vocable de “paralittérature,” estime que cette exclusion de la culture lettrée est simplement motivée par des “raisons idéologiques et sociologiques” (10). Selon lui, la critique traditionnelle s’appuie, en effet, sur des “pseudo-concepts de beau, de génie, de création artistique et de réalisme” (15, l’auteur souligne) pour dénier à “l’objet paralittéraire” toute dimension esthétique. En tout état de cause, force est de reconnaître que ce dernier est maintenu dans une“marginalité ambiguë” (10) dans la mesure où les frontières du champ lettré ne semblent pas immuables, les productions dites de seconde zone parvenant, au fil du temps, à se voir reconnaître une certaine légitimité littéraire.

Pendant longtemps, la littérature de jeunesse1 était considérée, pour toutes sortes de raisons, comme l’illustration absolue de ce que nous appellerons ici “l’anti-littérature,” fondée, par exemple, sur l’exploitation abusive de sa vocation pédagogique au détriment de sa conscience poétique et sur la simplicité, sa caractéristique essentielle, souvent perçue comme un principe esthétique dévalorisant (Lojkine et Prince). Néanmoins, cette littérature de jeunesse tente, de nos jours, d’acquérir ses lettres de noblesse et jouit incontestablement d’une légitimité croissante dans le monde académique, tant sur le plan de la recherche que sur le plan de l’enseignement. De plus, alors que le champ éditorial de la production pour adultes se resserre, la production pour la jeunesse ne cesse de croître, ce qui oblige à s’interroger sur les raisons de son succès. Cependant, la littérature de jeunesse demeure marquée par son ambiguïté immanente, au point d’apparaître comme le “grand livre des paradoxes” (Prince 9): d’une part, elle s’affirme comme un champ spécifique, en raison de son destinataire, le jeune lecteur, notion déjà pour le moins problématique; d’autre part, elle se veut aussi partie intégrante de la [End Page 1] culture lettrée. Ainsi, dans son “Plaidoyer pour la littérature jeunesse,” DominiqueDemers note:

Cette façon de définir la spécificité du champ littéraire pour la jeunesse m’apparaît fondamentale. Deux mots sont à retenir: littérature et jeunesse. La notion de destinataire, ou de public-cible si l’on veut, vient s’ajouter à un projet littéraire. La littérature jeunesse représente un défi de création unique et particulièrement difficile. Écrire pour la jeunesse, c’est écrire tout court, ce qui signifie d’accepter l’enjeu de la création littéraire dans toute sa complexité et avec tous les défis—stylistique, narratologique, esthétique …—que cela comporte. L’écrivain pour la jeunesse doit, comme tout écrivain, bâtir un univers, juste avec des mots, construire un monde original, dense, prenant, signifiant, en n’ayant pour tout matériau que des mots. […] Écrire pour la jeunesse, c’est donc d’abord écrire tout court. Les livres appartenant à ce champ littéraire sont effectivement des œuvres littéraires à part entière, mais ils constituent aussi ce qu’on pourrait appeler une littérature “plus” […]. La Littérature de jeunesse n’est pas simplement une littérature “autre,” c’est une littérature “plus,” extraordinairement fascinante à explorer à cause justement de sa complexité. Une œuvre brève n’est pas nécessairement simple.

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À vrai dire, la littérature de jeunesse ne s’oppose pas à la littérature générale, car des liens de diverses natures se tissent entre ces deux champs. La littérature de jeunesse est marquée par une asymétrie inévitable: les adultes écrivent pour la jeunesse, mais ils jouent aussi le rôle de médiateurs. À ce titre, ils...

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