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  • Une autre façon d'aimer ce monde
  • Abdellah Taïa (bio)

Petit, mes parents pauvres n'ont rien fait pour empêcher le monde, le Maroc et les hommes de notre quartier de me violer. Me violer encore et encore.

C'était un secret ouvert. Et un tabou en même temps.

Il est pédé. Il est pédé et il est à tout le monde. Servez-vous. Sur son petit, on peut tout se permettre en toute impunité. Le toucher. Le caresser. Le pénétrer. Le frapper. Lui cracher dessus. Le transformer en un objet sexuel pour tous les frustrés sexuellement. Il est un objet commun. Il ne se plaint pas. Il est si docile. Une si petite chose féminine qui se dandine et excite tout le monde. Regardez, regardez, comment il marche et comment il joue avec ses yeux. C'est sa faute, allons-y, allons le violer. Chacun son tour. Chacun, son tour.

Personne ne dira jamais rien. C'est comme ça ici, et partout dans le monde. Une loi universelle, je vous dis.

Abdellah. C'est moi. Ils ne m'appelaient pas Abdellah, non. Pour eux, j'étais Leïla ou bien Zoubida. Ou bien Sawssane. Un garçon-fille qui n'est pas censé exister et qui, justement, à partir de cette non existence, pouvait satisfaire leur libido débordante. Le corps sur lequel commettre un crime et, après, lui donner un merci et un sourire. Oui, juste un sourire bref. Cela [End Page 185] suffira. Il ne dira rien. Il n'en a pas besoin. Tout le monde sait ce qu'il est. Personne n'ira voir la police. Ni le roi. Ni la justice. Ce garçon-fille est déjà protégé. Par le diable, il est protégé. Il est le diable. Il n'est pas si innocent que cela. Méfiez-vous. Regardez encore comment il marche et comment il parle. Il est tout entier à baiser, à pénétrer, par derrière, par la bouche et même par les oreilles.

Je ne sais toujours pas comment j'ai fait pour survivre. Pour me sauver. Et pour sauver l'autre, cet Abdellah petit que j'étais. Comment as-tu fait ? Où as-tu trouvé l'énergie ? L'intelligence ? Que leur as-tu dit pour qu'ils ne te détruisent pas complètement ? Mais ils m'ont détruit complètement, de quoi tu parles ?! Ils m'ont déchiré de partout, partout. Je n'étais plus moi, très vite. J'étais le mal. Les femmes disaient quand elles me voyaient passer : le voilà, le voilà, ce chaytane, ce diable, il devrait changer de prénom, Abdellah est un prénom sacré en Islam, il devrait le changer et partir d'ici.

Tu as quel âge là ?

Je ne sais pas, tout se mélange, tout se bouscule. 10 ans. 12 ans. Pas plus. Je sais qu'à un moment donné, je trouvais qu'ils avaient raison. J'étais mort. Et à partir de là, de cet espace inconnu, j'ai commencé à prendre plus de risques. Mourir chaque jour un peu plus. Le suicide, tu veux dire ? C'était peut-être cela, le suicide, l'idée du suicide, mais dans ma tête, ce n'était pas le mot que j'avais. Non. Le mot qui m'obsédait, c'était la vengeance. Comment ? Tu as réussi à te venger ? Oui, peut-être. Je ne suis pas mort. Je suis encore là. C'est cela ta victoire, d'être toujours en vie ? Vraiment ? Tu te moques de moi ? J'ai fait ce que j'ai pu à l'époque. Le mal dans le mal. Le mal plus loin dans le mal. Je volais. Je mentais. Je me prostituais ? Tu te prostituais ?! Tu dis n'importe quoi, je suis toi et je ne me souviens pas, moi, que tu t'es prostitué. Tu inventes. Non, arrête de me contredire, je te dis que je me suis prostitué. Souvent. Ils me donnaient 5 dirhams, des biscuits Henry's, des glaces, m'emmenaient au cinéma voir Bruce Lee et Jackie Chan. Bon, bon, je te crois.

La violence...

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