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  • Au cœur du récit, le témoignage…
  • Hicham Houdaïfa (bio)

En 2007, je me suis déplacé vers la région d'Azilal, notamment dans les villages d'Aït Mhamed et Aït Abbas pour travailler sur le mariage coutumier dit orfi, un phénomène dont on ne parlait alors presque pas. Dans cette région, on mariait après la lecture de la Fatiha des fillettes de 13, 14 ans, en présence de douze témoins, sans contrat adulaire. C'est pour cela que ce mariage coutumier est plus connu sous zwaj lfatha, parce qu'il suffit de réciter cette sourate introductive du Coran, devant les familles de deux futurs époux, pour que le mariage soit validé et donc consommé. Il va sans dire que ce mariage n'a aucune valeur juridique.

J'ai passé du temps à parler aux fillettes, à leurs mères, à leurs pères, essayant de comprendre comment une telle « coutume » a pu perdurer. Avec des conséquences catastrophiques : des enfants non scolarisés puisque non disposant d'état civil, des femmes répudiées et qui n'ont pas droit à la pension alimentaire…

Je voulais également voir la relation entre ces pratiques et l'enclavement de ces régions que l'on remarque à travers le manque de route et parfois l'absence totale des symboles de l'État (administrations, écoles…) et questionner aussi le passé rebelle de cette région, qui a participé à une insurrection contre le Pouvoir et subi ainsi les affres de la répression durant le tout début de la décennie 1970.

Trois ans plus tard, j'ai pris la direction d'Imilchil, célèbre, par son moussem des fiançailles. Je connaissais la situation des femmes et des fillettes dans cette région, par mon contact alors permanent avec les militants de l'association Ytto. Je croyais que j'allais documenter une situation pareille à celle d'Azilal. Mais, une fois sur place, les choses ont [End Page 159] pris une autre tournure, encore plus dramatique.

Pendant une dizaine de jours, j'ai fait le tour de toute la région qui s'étend de Midelt à Imilchil, en passant par Errich avec comme ancrage, Anfgou. Un village qui faisait la triste actualité chaque hiver avec des enfants et des femmes emportés par le grand froid à cause de l'isolement. La route qui désenclavait enfin Anfgou venait d'être construite. J'ai eu l'occasion de visiter d'autres villages que Anfgou : Anemzi, Aït Marzouy, Tamaloute, Tirghiste, Tighidwine, Agheddou. Six ans après l'entrée en vigueur de la Moudaouanna, qui donnait un peu plus de droits aux femmes marocaines, je me retrouvais dans des régions où les femmes ignoraient même l'existence de ce texte. Pire, elles vivaient en dehors ce qui se passait dans le reste du pays.

Pas de contrôle de l'âge du mariage, pas de protection en cas de divorce, des femmes répudiées devant deux témoins… C'était la porte ouverte à toutes les formes d'exploitation : mendicité, prostitution…

En plus de la parole des femmes, j'ai recueilli des témoignages d'hommes mariés et divorcés selon la coutume une dizaine de fois : une manière de changer de partenaire en toute légalité… coutumière.

J'avais alors écrit un reportage sur ce sujet. Tout le dossier a été traduit en arabe et publié dans l'hebdomadaire Al Ayyam. J'ai également réalisé un documentaire qui est passé à la télévision nationale. L'objectif était de rendre public cette réalité afin que des solutions rapides et radicales puissent être apportées à cette population.

En écrit comme en image, la parole de ces femmes et ces fillettes mariées orfi était beaucoup plus qu'un élément pour raconter cette histoire. Le témoignage était l'histoire même. Il résumait la situation et montrait à lui tout seul, l'injustice, le rabaissement de la dignité humaine et la faillite de l'État, y compris dans la promotion de la Moudaouana, une des réformes majeures de ce qu'on qualifiait alors de « nouveau...

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