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  • La Rhétorique de la haine: la fabrique de l’antisémitisme par les mots et les images par Dominique Serre-Floersheim
  • Maxime Decout
La Rhétorique de la haine: la fabrique de l’antisémitisme par les mots et les images. Par Dominique serre-floersheim. (Bibliothèque d’études juives, 66.) Paris: Honoré Champion, 2019. 282 pp.

L’un des intérêts majeurs de cet ouvrage est d’affronter l’antisémitisme non à ses racines historiques, religieuses ou philosophiques mais linguistiques. Car nous devons le reconnaître: l’antisémitisme est d’abord une rhétorique. C’est même l’une de ses conditions: pour exister, l’antisémitisme doit être transmissible, à la manière des virus. Sa pensée ne répond pas qu’à des déterminations culturelles, intellectuelles ou passionnelles: elle est formatée par la nécessité d’être véhiculée. Aussi lire la parole antisémiteà partir de son expression apparaît-il comme une tâche absolument nécessaire pour en comprendre les rouages et, peut-être, les désamorcer. Pour ce faire, Dominique Serre-Floersheim pose une question préalable qui me semble être l’une des questions centrales que la haine a adresséàla littérature au siècle passé sans qu’on lui ait encore trouvéde réponse satisfaisante: comment certains écrivains ont-ils pu en venir à placer la création littéraire tout entière sous l’égide de la haine de l’autre? Pour le dire plus abruptement: comment ont-ils pu non pas simplement asservir la littérature à la haine mais plus véritablement nourrir la création de la haine? Question essentielle s’il en est, question assurément sans réponse, question que l’actualité ne cesse de relancer aujourd’hui, de Renaud Camus à Peter Handke en passant par Richard Millet. Question que les lettrés ont le plus souvent évitée, [End Page 663] comme en témoigne l’abondance des déclarations, d’écrivains, de penseurs ou de critiques littéraires, affirmant par l’exemple que l’antisémitisme de Céline n’était que littéraire — et donc inoffensif. Mais ceux-ci oublient, apparemment, que cet antisémitisme avait des lecteurs, en très grand nombre, et que ceux-ci n’étaient pas tous des esthètesà la recherche de virtuosité formelle. Ils négligent le fait que ces textes étaient inscrits dans une situation de communication, qu’ils parlaient à un destinataire, dans un présent, à partir d’une rhétorique qui visait d’abord l’efficacité. Dans le sillage de La Parole pamphlétaire: contribution à la typologie des discours modernes de Marc Angenot (Paris: Payot, 1982), mais aussi de L’Antisémitisme de plume, 1940–1944 de Pierre-André Taguieff (Paris: Berg, 1999), Serre-Floersheim propose donc de décrypter cette rhétorique de la haine, à partir de ses plus éminents ambassadeurs (Céline, Lucien Rebatet, Édouard Drumont, Robert Brasillach, Léon Daudet et j’en passe). L’essai examine les différentes postures de l’énonciateur, les séductions exercées sur le destinataire et le large éventail de procédés stylistiques que la haine met à la disposition de ses adorateurs. Ajoutons, en dernière instance, que l’un des mérites de ce travail est aussi d’offrir un florilège commenté de ces textes, judicieusement complété par la lecture de dix cartes postales antisémites, et cela afin d’en permettre une lectureé clairée et vigilante.

Maxime Decout
Aix-Marseille Université — Iuf
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