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Reviewed by:
  • Gaëtan Brulotte ou la lucidité en partage by Margareta Gyurcsik
  • Michel Lord (bio)
Margareta Gyurcsik, Gaëtan Brulotte ou la lucidité en partage, Montréal, Notabene, 2018, 317 p.

Un des meilleurs nouvelliers québécois, Gaëtan Brulotte, a droit dans Gaëtan Brulotte ou la lucidité en partage à un véritable livre hommage, l'angle de la critique roumaine, professeure de littérature française et francophone à l'Université de Timisaora (Roumanie), étant nettement celui de la critique de célébration. Ce qui ne signifie pas que tout sens critique soit évacué, bien au contraire, mais l'admiration de Margareta Gyurcsik pour l'œuvre de Brulotte — d'une qualité indéniable tant dans son roman, ses essais que dans ses nouvelles — prend nettement le dessus. Et cela est fort bien. Une caractéristique de son approche: elle replace l'œuvre dans un cadre historique et littéraire très vaste, et qui parfois étonne, mais qui est soutenu par une grande érudition.

Elle aborde l'œuvre d'abord en parlant de la part la plus visible et la plus importante de l'œuvre de Brulotte: sa pratique nouvellière. Après avoir exposé sa vision de la nouvelle québécoise contemporaine, elle en arrive à souligner la manière de Brulotte:

[S]on originalité correspond à sa vision de l'innovation que nous pourrions nommer tempérée ou raisonnée, du fait qu'elle envisage le déplacement et l'ébranlement des structures à l'intérieur des espaces « existants », compte tenu de deux conditions fondamentales: la dimension de la communication et l'exigence de la lisibilité.

Ce en quoi elle a tout à fait raison, Brulotte se refusant à l'hermétisme ou à l'exploration formelle libre de clarté narrative. Très rapidement, elle aborde une question chère à Brulotte et sur laquelle elle insistera beaucoup: le « haptisme », concept développé par l'auteur étudié et repris dans son essai La chambre des lucidités (2003). C'est ainsi qu'elle explique la chose:

Le haptisme n'est pas à ses yeux qu'un procédé littéraire novateur: il représente l'essence même de la littérature dans la mesure où l'écrivain, conscient de ne pas pouvoir saisir l'immensité du monde, propose une approche qui consiste [End Page 389] à agrandir « un petit coin du réel », autrement dit à saisir « l'infime » et à l'amplifier.

Cela pourrait par ailleurs aussi servir à définir la nouvelle, qui souvent grossit un fait divers, une émotion, ce que René Godenne appelle la « nouvelle instant ».

Dans cette foulée, elle note aussi que la manière de Brulotte le mène à adopter dans ses écrits une forme de « "résistance au pouvoir" par le détournement ludique des formes de discours contraignantes, autoritaires, dirigistes, stéréotypées, qui sont autant d'instruments d'oppression sociale et intellectuelle ».

Caractérisant l'homme et l'œuvre, Gyurcsik souligne « l'humaniste » en Brulotte, lui qui est en butte contre « le retour de la barbarie » ainsi que son caractère « aventurier », Brulotte vivant « l'écriture comme une "aventure de la différence" dans un monde qui tend à […] encourager l'uniformisation ».

Lorsqu'elle aborde les œuvres de fiction, Gyurcsik établit moult liens avec ses œuvres de la grande tradition française, mais très peu avec la littérature et la nouvelle qubécoises. Ainsi, à propos d'une nouvelle, « Le sculpteur du temps » (Épreuves, 1999), elle évoque, parlant du personnage de Turcotte, sculpteur, le Roquentin de La nausée de Sartre, car il « prend conscience du néant qui engloutit l'être humain prisonnier de son corps », puis elle le compare à la Bérénice du roman L'avalée des avalées de Réjean Ducharme, car il est « hanté par la conscience d'être avalé ».

Comme le double est un motif récurrent chez Brulotte, seront convoqués tour à tour Beckett (de par «la dissolution angoissante du moi»), Valéry (Narcisse), tout en revenant à Sartre (le « regard d'autrui qui réifie »). Elle ira même, de manière étonnante, jusqu'à parler de Corneille et Racine, puis de Diderot, à propos de la nouvelle « Ventriloquerie » (Ce qui nous tient, 1988...

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