In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Les fables canadiennes de Jules Verne. Discorde et concorde dans une autre Amérique by Gérard Fabre
  • Roland Le Huenen (bio)
Gérard Fabre, Les fables canadiennes de Jules Verne. Discorde et concorde dans une autre Amérique, Ottawa, Les Presses de l'Université d'Ottawa, coll. Amérique française, 2018, 201 p.

Parmi les 62 romans qui constituent son importante production romanesque, Jules Verne en consacra trois au Canada, écrits au long de trois décennies, tous parus initialement dans le Magasin d'éducation et de récréation de l'éditeur Hetzel: Le pays des fourrures (1872–1873), Famille-Sans-Nom (1889), et Le volcan d'or (1899–1900), publié posthumément en 1906 avec des remaniements dus à Michel Verne. La version originale de ce dernier roman ne sortit en librairie qu'en 1995. Si les deux premières fictions mettent en scène Canadiens français et Américains liés par un même sentiment anglophobe, la dernière renverse les alliances et montre des Canadiens des deux nations solidairement unis [End Page 364] contre des Américains originaires du Texas, délinquants sans foi ni loi, sur fond de ruée vers l'or au Klondike. Ce sont les raisons de ce retournement idéologique que cherche à approfondir l'ouvrage de Gérard Fabre, en restituant la dynamique qui anime les trois romans saisis ensemble et jusque-là négligés par la critique. Comment comprendre l'évolution des représentations du Canada et du Québec en France en cette fin du xixe siècle?

Gérard Fabre s'attache d'abord à situer le Canada dans la production vernienne et à présenter la question coloniale telle qu'elle est reflétée dans la presse française de l'époque où paradoxalement la sympathie évidente pour les Canadiens français se voit associée à une anglophilie plus ou moins marquée. Se trouvent également relevés quelques traits essentiels de l'écriture de Verne: l'importance du feuilleton, l'ingéniosité attribuée aux personnages canadiens non seulement dans ces trois romans, mais au long de l'œuvre, le mélange de romantisme et de science positiviste illustré par exemple dans Le volcan d'or où les techniques d'extraction du précieux métal sont décrites avec précision, les opinions personnelles où anglophobie et anglophilie se côtoient, la conversion à l'anticolonialisme, les considérations géopolitiques qui rendent compte de l'affrontement hégémonique de la Grande-Bretagne et des États Unis menés par la politique de Monroe, face à un Canada français soucieux de s'émanciper de la tutelle britannique.

Le pays des fourrures (1872–1873) raconte les aventures d'agents de la Compagnie de la Baie d'Hudson chargés de l'établissement d'un poste de traite dans le Grand Nord canadien, et qui se retrouvent en très mauvaise posture prisonniers d'une île de glace flottante. Fabre souligne le caractère symbolique des personnages dont il retient trois représentants: le lieutenant Hobson, d'ascendance irlandaise, mais qui par son sens de la discipline, son abnégation, son respect des lois et des règles, représente l'idéal du parfait officier britannique; une Anglaise du comté d'York, Paulina Barnett, tenace, flegmatique, habile à se servir d'un pistolet, et en outre membre de la Royal Society of Geography et à ce titre toute dévouée à la cause de l'Empire britannique; enfin un « voyageur canadien », haut en couleurs, tireur hors pair, élégant et affable, au service d'une société américaine de fourrures en concurrence directe avec celle de la Baie d'Hudson représentée par Hobson. Entre ces personnages, l'intrigue se noue à propos d'un trophée de chasse qui normalement revient au voyageur, mais que celui-ci remet par galanterie à Hobson parce que « les dames aiment les belles fourrures ». Si la courtoisie joue son rôle, le trophée n'en reste pas moins aux mains d'une Anglaise, et l'auteur voit dans cet abandon l'équivalent métaphorique de la cession du Canada à la couronne britannique. Le pays...

pdf

Share