Roman

Cette année de non-attribution du prix Nobel de littérature¹ aura notamment été marquée, dans le roman canadien francophone, par la conclusion du cycle Soifs de Marie-Claire Blais. Bon nombre d'auteurs ont usé très librement de la forme romanesque, flirtant par exemple avec la non-fiction ou les écritures de soi, ou optant pour d'autres modes de représentation, comme Dany Laferrière offrant son premier roman dessiné. Plusieurs écrivains ont puisé leur inspiration chez d'autres écrivains, et encore cette année, une solide cohorte de primo-romanciers ont tâté pour la première fois de « l'art du savoir mentir », selon l'expression d'Aragon².

Premiers romans

Remarqué pour sa poésie (Les volcans sentent la coconut avait été finaliste au Prix des libraires en 2016), Jean-Christophe Réhel signe, avec Ce qu'on respire sur Tatouine, un premier roman saisissant. L'oeuvre a d'ailleurs remporté le Prix littéraire des collégiens 2019 et un projet d'adaptation cinématographique est en cours. Réhel y présente les déboires d'un trentenaire de Repentigny atteint de fibrose kystique. Le titre fait référence à la planète-désert de « Tatooine » dans Star Wars, une série de films qui obsède le narrateur et l'aide à surmonter l'insignifiance de son quotidien, entre le Super C où il travaille sans plaisir, la chambre piteuse qu'il loue chez un homme qui ressemble à Joe Pesci, un bref (et humiliant) séjour qu'il effectue chez sa soeur Camille et son beau-frère Aaron à New York et les traitements qu'il devra recevoir au CHUM. Émaillé de références à la culture populaire, le roman de Réhel séduit par sa prose crue et rythmée et par sa maîtrise de l'autodérision.

Récompensé par le prix Robert-Cliche du premier roman 2018, Saint-Jambe d'Alice Guéricolas-Gagné transforme le quartier Saint-Jean-Baptiste de Québec (« Saint-Jambe ») en une vision fantaisiste située quelque part entre Pedro Páramo et les contes de Fred Pellerin. La République de Saint-Jambe-les-Bains s'est constituée après que la mer a englouti la Basse-Ville et qu'un Siège a retranché Saint-Jambe du reste de la Vieille Capitale. La romancière, jouant les ethnologues, a entrepris d'en consigner le folklore et la mythologie. Voilà du moins la trame qui relie dix-huit chapitres formant autant de récits autonomes, l'auteure décrivant son ouvrage comme un « roman à fragments ». Douée d'une imagination fertile, voire échevelée, Guéricolas-Gagné crée un monde où des « poètes aériens » kidnappent les gens pour les emmener se balader sur les toits et où la conception occidentale de l'Histoire est remise en question par la découverte, à Québec, d'un temple grec dédié à Athéna…

D'une lecture moins déconcertante, Darlène, le premier roman de Noémie D. Leclerc, se distingue avant tout par le contexte dans lequel il a été conçu. Il émane en effet d'un projet multidisciplinaire dont l'autre volet est formé par l'album-concept d'Hubert Lenoir, l'amoureux de Noémie D. Leclerc. Lui aussi intitulé Darlène, ce disque a remporté un franc succès: trois Félix lui ont été décernés lors du 40^e gala de l'ADISQ. Se déroulant dans le quartier des chutes Montmorency à Beauport, Darlène décrit la rencontre fortuite, au N Hôtel, de l'héroïne éponyme et d'Ashton, un Américain venu à Québec pour mettre fin à ses jours. Faisant penser à une version milléniale et joualisante de L'Attrape-coeurs de J. D. Salinger, ce roman montre qu'il est parfois nécessaire de découvrir l'autre pour se trouver soi-même.

Parfois, il suffit de quelques instants à cet autre pour venir transformer le cours d'une vie. C'est ce qui se produit dans La femme de Valence d'Annie Perreault...