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  • Pourquoi les hommes se fatiguent-ils ? Une histoire des sciences du travail (1890-1920) by Marco Saraceno
  • Marc Lorioll
Marco SARACENO, Pourquoi les hommes se fatiguent-ils ? Une histoire des sciences du travail (1890-1920), Toulouse, Octarès Éditions, « Travail et activité humaine », 2018, 176 p. Préface de François Vatin.

Dans cet ouvrage, Marco Saraceno revient sur l'histoire, plusieurs fois étudiée, des sciences du travail au tournant des XIXe et XXe siècles ; plus précisément sur la tentative (finalement avortée) de fonder une théorie homogène de la fatigue inspirée de la thermodynamique et rapprochant les dépenses d'énergie faites par une machine, à vapeur, essence ou électrique, de celles liées au travail physique et intellectuel. En calculant le ratio optimal entre la dépense d'énergie et la force produite, ces scientifiques espéraient résoudre les conflits entre travailleurs et employeurs et améliorer le sort de l'humanité de façon plus rationnelle à leurs yeux que les réformes socialistes.

Très vite, pourtant, ces savants vont se heurter à de nombreux démentis empiriques et à des résultats incompréhensibles. Dans un premier temps, la réaction est de trouver des explications ad hoc afin de sauver le modèle général. Ainsi Auguste Chauveau, en 1887, estime-t-il que si le rendement du moteur humain ne suit pas celui de la machine à vapeur, cela serait dû à une perte d'élasticité des fibres musculaires au fur et à mesure que l'effort se prolonge. Pour Étienne-Jules Marey, l'étude des gestes par la chronophotographie permettrait de déterminer la gestuelle idéale approchant les courbes de rendements des machines. Ernest Solvay, chimiste et chef d'entreprise belge, compare, en 1894, l'organisme vivant à une pile voltaïque. Une alimentation adaptée, des rythmes de travail scientifiquement déterminés et une bonne éducation et sélection professionnelles devant garantir un rendement optimal.

La tentative de sauvetage la plus connue est sans doute celle du physiologiste italien Angelo Mosso, en 1891. Afin d'appuyer son argumentation sur un ensemble de mesures rigoureuses, il invente un nouvel appareil : l'ergographe. Le sujet doit, en abaissant son index, actionner une poulie qui soulève un poids à un rythme reporté automatiquement sur un graphique. En répétant ce geste de nombreuses fois et en faisant varier le poids, il est possible de tracer des courbes d'effort qui montrent un rendement décroissant lié à la fatigue. Une fois le muscle épuisé, la volonté, ou force nerveuse, doit, selon Mosso, qui s'appuie sur les idées du philosophe Théodule Ribot, prendre le relais pour poursuivre le travail, malgré les signaux d'alerte envoyés par le corps. Il n'y aurait donc bien qu'une seule sorte de fatigue, caractérisée par une dépense de force, qu'elle soit physique ou nerveuse. Cette dernière est alors perçue comme conduisant véritablement à l'épuisement. Cela serait finalement la preuve que le travail intellectuel est plus fatigant que le travail physique. Un professeur d'université après un cours aurait ainsi un rendement décroissant plus marqué à l'ergographe qu'une personne ayant réalisé une tâche manuelle. Nombre d'auteurs vont ensuite étudier la sélection professionnelle comme moyen de permettre à tous de trouver un emploi compatible avec les courbes de fatigue propres à chaque individu.

Ces explications vont être remises en cause par des travaux ultérieurs mobilisant également l'ergographe. Ainsi, Zaccaria Treves montre en 1905 que l'effet de la volonté ne peut être assimilé uniquement à une dépense d'énergie nerveuse, mais que des changements dans l'environnement de travail permettant de stimuler le sujet ou de relancer sa concentration peuvent conduire à raviver son effort. Ce dernier est ainsi modulé en fonction de son utilité perçue. Armand Imbert ajoute que les travailleurs expérimentés apprennent à adapter leurs gestes et leurs efforts à la fatigue, s'ils en ont l'occasion. De plus, un sentiment d'injustice dans les relations avec l'employeur peut aussi conduire à limiter les efforts pour différentes raisons (protestation, contrôle...

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