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  • Sorti d'usines. La « perruque », un travail détourné by Robert Kosmann
  • Nicolas Hatzfeld
Robert KOSMANN, Sorti d'usines. La « perruque », un travail détourné, Paris, Éditions Syllepse, « Les Utopiques », 2018, 184 p. Préface de Xavier Vigna.

Il faut saluer les éditeurs quand ils font preuve de perspicacité et de hardiesse, en l'occurrence, les éditions Syllepse qui ont sollicité Robert Kosmann pour l'écriture d'un ouvrage sur le travail en perruque, autrement dit la pinaille, la bousille, la bricole ou encore la casquette–selon les régions, les termes varient pour désigner le phénomène. Cette diversité lexicale brouille les pistes, faisant croire à une dispersion de [End Page 169] pratiques étroitement localisées. Elle illustre surtout la discrétion d'un phénomène aussi répandu que méconnu. Or, ce sujet, l'auteur en a une connaissance exceptionnelle. Ancien ouvrier fraiseur dans un atelier d'outillage de Renault pendant dix-huit ans, il a côtoyé des « perruqueurs » et il a lui-même opéré dans le domaine. Militant, il a expérimenté diverses attitudes des institutions du monde industriel vis-à-vis de cette activité. En outre, féru de sciences sociales et chercheur à ses heures, il a lu, méthodiquement, les témoignages aussi bien que les travaux universitaires de sociologie, d'anthropologie, d'histoire, de psychologie susceptibles de traiter du sujet. Il a coopéré avec Étienne de Banville, économiste du CNRS qui, comme Michel Anteby et quelques rares autres, l'a analysé avec soin. Bref, comme l'indique Xavier Vigna dans sa préface, ce livre est la rencontre d'un auteur et d'un sujet, rencontre mûrement réfléchie et travaillée, mais présentée sans excès d'académisme. Le livre est à l'image du sujet, d'allure badine et robuste sur le fond.

Du sujet, Robert Kosmann donne d'emblée sa propre définition : il s'agit de « l'utilisation de matériaux et d'outils par un travailleur sur le lieu de l'entreprise, pendant le temps de travail, dans le but de fabriquer un objet en dehors de la production réglementaire de l'entreprise ». Cette définition est loin de faire consensus, comme le montre la vision proposée par Larousse, qui assimile cela à du vol en reprenant le raisonnement patronal. Il y a bien subtilisation de matière appartenant aux patrons, et de temps censé être dévolu aux tâches qu'ils mettent en place, mais là n'est pas le but de la perruque. La frontière est ténue dans certains cas, comme celui d'un réservoir en tôle soudée, épousant à merveille les courbures des reins au point d'être indiscernable sous une veste, et permettant chaque jour de sortir de l'usine un peu d'essence à destination des véhicules personnels. Mais, affirme Robert Kosmann, l'appât du gain est dérisoire dans ce jeu-là, au regard de la jubilation du virtuose du chalumeau. Le point de vue patronal cherche aussi à confondre perruque et travail au noir, comme le font les règlements intérieurs d'entreprise. Mauvaise foi totale, s'insurge l'auteur, même si les juges leur donnent raison. Certes, là aussi on trouve des cas limites. Ainsi, des ouvriers de maintenance chez Air Inter entreprennent dans les années 1990 de réaliser en atelier des décodeurs pirates de la première génération pour recevoir les émissions de Canal+ ; le jeu réussit trop bien, suscite une demande à laquelle répond une production qui tient de la série, jusqu'à ce qu'un autre modèle de décodeur, inimitable, remplace le premier. La réussite d'une autre perruque, copie de remorques pour voitures, amène aussi les bricoleurs à reproduire leur opus en une centaine d'exemplaires. Pourtant, les territoires ne se recoupent qu'à la marge ; pour l'essentiel, les perruqueurs ne se mélangent pas avec les travailleurs au noir, et s'opposent parfois à eux.

De ce qu'est la perruque, Robert Kosmann donne d'abord à voir l'extraordinaire foisonnement. Près de deux cents photos garnissent...

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