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  • Histoire en marges. Les périphéries de l'histoire globale dir. by Hélène Le Dantec-Lowry et al.
  • Sarah Fila-Bakabadio
Hélène LE DANTEC-LOWRY, Matthieu RENAULT, Marie-Jeanne ROSSIGNOL et Pauline VERMEREN (dir.), Histoire en marges. Les périphéries de l'histoire globale, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, « Civilisations étrangères », 2018, 354 p.

Le décentrement est une notion à la mode. Il est tantôt un slogan rapidement mobilisé, tantôt une nouvelle voie pour renouveler les sciences sociales. De plus en plus d'ouvrages d'histoire reprennent les narrations nationales à travers les voix de sujets longtemps ignorés (femmes, minorités racialisées ou LGBTQ+) ou depuis des territoires jugés à la périphérie du monde (territoires d'outre-mer, anciennes colonies, etc.). À l'instar de l'Histoire mondiale de la France 11, ces travaux sont produits par des historiens qui entrent aujourd'hui sur un terrain déjà connu des auteurs et éditeurs de Histoire en marges : l'histoire faite par des invisibles et des voix dissonantes, à travers des parcours de vie rarement linéaires qui ont pourtant fait évoluer la discipline historique.

Cet ouvrage prolonge le projet collectif « Écrire l'histoire depuis les marges : le cas des Africains-Américains » (2013-2016), où les porteurs, ici éditeurs, questionnaient l'histoire et l'historiographie faite par des historiens africains-américains entre 1850 et 1950. Ces historiens, parmi lesquels William Wells Brown, Rayford Logan ou Ida B. Wells, étudiaient déjà les tensions entre une histoire américaine européo-centrée et leur expérience de minorité en marge du récit états-unien. Ils saisissaient l'histoire comme un projet à la fois politique et scientifique contribuant à leur émancipation. Leur altérité était un prisme pour inventer des récits propres du mythe de la première démocratie moderne. La même dynamique est à l'œuvre dans Histoire en marges. L'ouvrage élargit le débat à d'autres terrains (Asie, Afrique et Caraïbe) et aborde une notion toujours sous-jacente et apparemment trop évidente pour que les sources secondaires ne l'interrogent : la marge. Pourtant, comme le proposent ici les éditeurs, il convient d'y revenir pour comprendre comment [End Page 200] la/les marge(s) ou la/les périphérie(s) sont des milieux où des auteurs, des militants, des chercheurs ont autant fait l'histoire-monde que les mythes et épopées européens.

Plus spécifiquement, le livre étudie l'écriture de l'histoire depuis les marges. Autrement dit, comment les marges sont des espaces et des positionnalités qui ouvrent vers des récits et des pratiques historiques et historiographiques qui décloisonnent « en articulant le social, l'économique, le culturel et le politique » (Caroline Douki et Philippe Minard, cités p. 10). Ainsi, l'écriture de l'histoire n'est pas seulement une manière d'expliquer, voire de représenter une temporalité, mais aussi un instrument pour « restituer » (ibid.) des expériences complexes. Les auteurs d'Histoire en marges observent comment des écritures jugées périphériques (celles de militants, de chercheurs amateurs ou de femmes) obligent à une réflexion en profondeur sur les rapports de domination (colonisés/colonisateurs, majorité blanche/minorité noire, femmes/hommes) et repoussent les limites de l'histoire.

La périphérie n'est pas ici une source de relégation mais un « lieu d'innovation et de création » (p. 7). Les contributeurs s'éloignent de toute tentation contemporanéiste qui voudrait que la critique des périphéries noires, colonisées ou subalternes, soit récente. Ils montrent au contraire que la marge a toujours été un espace de production de discours, qu'ils soient des contre-discours face à la stigmatisation ou des formes de pensée autonome. L'existence d'une marge ne suppose pas une inertie intellectuelle, bien au contraire. De Jeremy Belknap, fondateur de la Massachusetts Historical Society, aux suffragettes américaines du début du XXe siècle, tous les historiens mentionnés ici l'ont saisie comme une opportunité pour inventer des récits, qui ne complètent pas des narrations centrales...

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