Le secret des mots par Jean Pruvost (review)

"Les mots sont par essence secrets": c'est en ces termes que Jean Pruvost ouvre son ouvrage comme une "mise en bouche" qui conduira le lecteur sur le chemin des mystères de la langue française. Mais attention, le lexicographe émérite nous offre ici un parcours singulier, beaucoup plus subtil qu'une histoire chronologique. Il s'attaque avec appétit—et pour tout dire avec gourmandise—à mille facettes des incongruités d'un idiome millénaire qui ne laisse pas d'évoluer. Le lexique prend la part belle mais ne nous y trompons pas: Pruvost se fait ici historien de la langue tout autant que phonéticien (comment et pourquoi prononce-t-on tel ou tel mot? Où se situe l'accent démarcatif en français?), syntacticien (comment le mot se met en phrase; et l'auteur de commencer précisément par le mot… "mot") ou encore "lexicographe" (voilà qui semble bien naturel). Mais la morphologie n'est pas en reste: "fille ou garçon"? le chapitre 3 nous en apprend beaucoup sur la notion de genre et tord le coup de quelques idées reçues. Le chapitre 6 s'intéresse quant à lui aux constructions des mots qui se "marient". Ce que nous propose l'auteur est en réalité un parcours "à sauts et à gambades" qui n'aurait pas déplu à Montaigne. Ce sont la sève, le sucre, le miel de la langue qui l'intéressent. Un mot est lancé—ban—et son histoire se déploie sous les yeux étonnés du lecteur, puis un deuxième—emplâtre—dont la famille surprendra les plus curieux (plasma, plastique, ectoplasme). Ce n'est en effet qu'une mise en bouche car l'ouvrage va de surprise en surprise. Qu'est-ce qui motive le genre d'un mot? (Ne surtout pas confondre un et une "épigramme", vous seriez bien embêtés), quelle est la vie même d'un mot (son évolution des sens, ses graphies à travers les siècles)? Pruvost n'oublie ni les noms propres (chapitre 9) ni les incongruités langagières (chapitre 10). En lisant ce livre, on sent, on sait que la langue est un jeu. L'auteur nous explique avec brio, simplicité et pertinence les mille secrets des mots, sans que les dictionnaires si chers à son cœur ne soient jamais bien loin. Au fil des pages—passionnantes, documentées et érudites—la littérature est constamment présente: Montaigne, Verlaine, Baudelaire, Sand, La Fontaine, Zola, Froissart et tant d'autres (ne parlons même pas de la désormais célèbre expression faire cattleya de Proust, savamment racontée dans l'ultime chapitre) sont convoqués par Pruvost et illustrent à merveille, chapitre après chapitre, l'intelligence du propos. Bref, on l'aura compris, cette aventure des mots en leur secret est tout à la fois une ode à la langue, un cantique délicieux au pays de la lexicographie, un hymne savoureux d'un fin connaisseur des arcanes du français et une délicate symphonie d'un mois de mai (mot à dévorer dès le chapitre 2) orchestrée par un maître incontesté du vaste et merveilleux domaine des mots.