404 by Sabri Louatah (review)

Un phénomène préoccupe Allia, ingénieure polytechnicienne française d'origine algérienne. C'est le boom des vidéos virales ou sensationnalistes et plus particulièrement, celles manipulées avec l'intelligence artificielle et dont on ne peut détecter la contrefaçon à l'œil nu. Pour bien relever l'efficacité de ces vidéos de synthèse ou "deepfake", elle les nomme "mirages", de manière à suggérer que, désormais, leurs falsifications échappent aux vérifications les plus sophistiquées (20). Poussée par la nécessité urgente de combattre ce fléau, Allia met au point une application qui rend un flux vidéo infalsifiable. On ne pourra ni l'enregistrer ni le trafiquer. Surnommé "404", à cause du message "erreur 404, page introuvable" (100) qui s'affiche sur l'écran lorsqu'on essaie de manipuler une vidéo, l'invention d'Allia se veut avant tout une technologie ayant le potentiel d'ouvrir la voie à la post-viralité. Elle l'envisage comme une ère où l'humanité retourne à "quelque chose de plus sain" (106). Concrètement, il s'agit de libérer l'humain de la technologie en remplaçant la viralité par la ponctualité de "l'œil humain" (106), une référence au monde avant l'invention de tous les appareils et plateformes qui, aujourd'hui, permettent une consommation des contenus en différé. Allia se bat pour un monde où on ne voit que "ce qui se passe, pendant que ça se passe [et] il faut être là, ici et maintenant, pour le voir" (107). C'est dire que l'archive deviendra une page introuvable puisque les images et les enregistrements disparaîtront au moment même de leur diffusion (351). Afin de tester son invention, Allia quitte les États-Unis pour sa France natale. Alors commence pour elle un véritable parcours de combattante qui finira tragiquement: Allia et son bébé de huit mois seront froidement abattus par balles devant Ali, son meilleur ami. Sollicité plus tard pour un montage vidéo retraçant cette tragédie, Ali est confronté au dilemme de participer à la création du mirage ou de laisser cet assassinat devenir une page introuvable de l'histoire. Avec ce thriller qui, d'un bout à l'autre, tient son lecteur en haleine, Sabri Louatah tire la sonnette d'alarme sur la techno-dictature contemporaine tout en soulevant plusieurs autres questions sociopolitiques de l'heure. Autant s'y profile l'agonie de la démocratie en Occident à l'aune d'élections devenues des batailles de canulars circulant en ligne; autant la France contemporaine et ses dysfonctionnements y occupent-ils une place de choix. Les ghettos de la République, les mirages islamophobes, les défis de la "beurgeoisie" française, les déboires de la jeunesse maghrébine, le racisme, la progression des passions. Tout y passe. Au-delà de cette peinture funeste d'une France qui aime mal certains de ses enfants, il y a la langue française employée par les personnages: enrichie par l'arabe, elle devient le témoin que malgré les fracassements, les peuples se rencontrent et se fécondent, volontairement ou non. Et cette présence de la langue arabe dans le parler français des personnages fait du roman un outil pédagogique valable en cours de langue.