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  • L'art et la race: l'Africain (tout) contre l'œil des Lumières par Anne Lafont
  • Virginie Ems-Bléneau
Lafont, Anne. L'art et la race: l'Africain (tout) contre l'œil des Lumières. Réel, 2019. ISBN 978-2-37896-016-2. Pp. 467.

Dans l'ère des mouvements socioculturels tels que "Black Lives Matter" et "Representation Matters", voici un livre tout à fait à propos. Cet essai minutieusement documenté répondra non seulement aux besoins des historiens de l'art, mais aussi (et peut-être avant tout) à ceux d'une société héritière des "progrès" du siècle des Lumières: sciences de l'homme, navigation, commerce (lire: hiérarchisation des êtres humains, traite des Noirs, esclavage). Ce livre examine la genèse de la création de "l'identité noire" par les savants blancs du dix-huitième siècle, identité conçue à l'aide [End Page 253] d'images (dessins, gravures, peintures) toujours ancrées dans l'imaginaire euroaméricain contemporain. Mieux comprendre cette histoire, c'est mieux comprendre pourquoi et comment le Noir est (devenu) l'Autre dans ces sociétés. Bien qu'il eût été facile de souligner simplement la profusion d'images avilissantes du Noir, l'intérêt de ce volume est justement qu'il dévoile la diversité de cette représentation, liant les œuvres aux mouvements politiques et philosophiques de ce siècle, mais aussi l'art à la science. S'il est convenu que l'art sert l'idéologie (du peintre, de la société, du mécène), et que l'idéologie informe l'art, ce livre montre que l'art peut être la cause, et non la conséquence, de glissements idéologiques. En représentant ses croquis de crânes horizontalement (alors que la coutume était à la représentation verticale), Camper révolutionna les sciences de l'homme en facilitant la comparaison, et donc la hiérarchisation, des êtres. À gauche, le singe, à droite, l'être humain à son stade le plus avancé, le plus parfait: l'Apollon du Belvédère. L'humanité se déclinerait donc selon son degré d'éloignement de la structure crânienne fictive (une statue n'a pas de crâne) d'un être divin (donc fictif). Comme cet exemple le suggère, l'art contribua pleinement au développement des théories scientifiques, et par conséquent aux idéologies sociales et politiques qui stratifièrent la société du dix-huitième siècle. Lafont observe également que l'imaginaire, et donc la représentation du Noir, ne suivirent cependant pas une progression linéaire durant ce siècle. Si quelques portraits d'hommes noirs représentés seuls, hors du domaine domestique, furent peints au milieu du siècle et plus tard pendant la courte période du Consulat, ce genre de tableau resta absent des périodes révolutionnaires française et américaine. Reconnaître à l'homme noir son individualité aurait ébranlé les idéologies révolutionnaires majoritairement soutenues dans les deux pays par une bourgeoisie commerçante dépendante de la Traite et de l'esclavage. Il ne faudra pas non plus compter sur les campagnes abolitionnistes pour rendre son humanité au Noir. L'art abolitionniste privilégia lui aussi le point de vue du dominant, tout en s'adaptant pour combattre l'apathie du public: d'abord faire prendre conscience (on pense à: "c'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe" dans Candide), ensuite susciter l'empathie (en représentant des familles), puis fomenter la hantise de la revanche (Radeau de la Méduse), et enfin, en dépit de cause, choquer en peignant la violence (esclaves pendus, écartelés, mutilés). Ce livre souligne pertinemment qu'une représentation juste et équitable du Noir ne peut exister sans un renversement de point de vue.

Virginie Ems-Bléneau
Georgia Southern University
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