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  • Entretien avec Jacques Tardi
  • Seth Whidden and Jacques Tardi

Paris, quartier du Père-Lachaise, 11 mai 2018

SW:

Comment aborde-t-on des sujets historiques quand on est auteur de bandes dessinées?

JT:

Qu'on parle de la Commune ou de la Première Guerre Mondiale, il faut avant tout raconter une histoire. Pour capter l'intérêt du lecteur avec un moyen d'expression comme la bande dessinée, il faut des personnages. Sinon, on est historien, on explique, on aborde les causes, les dates… Or, je ne suis pas historien et je ne prétends pas l'être.

SW:

Justement, est-ce qu'on vous reproche parfois un manque de précision historique?

JT:

Cela peut arriver. Un jour, quelqu'un m'a écrit en me disant que j'avais commis une erreur monstrueuse, que Vallès, pendant toute la période de la Commune, n'avait pas de barbe. Il avait fait de la prison juste avant, et pendant toute la Commune il s'était rasé. À la fin, les Versaillais ont d'ailleurs fusillé plusieurs barbus qu'ils ont pris pour Vallès. En effet, c'était une erreur de ma part, je n'ai pas eu l'information à temps. Il faut dire aussi que j'ai parfois eu des difficultés à raconter tout le déroulement de la Commune parce que j'ai eu vent de certains événements après avoir déjà dessiné mes planches. Par exemple j'ai entendu parler des combats à l'église de Saint-Eustache à un moment où j'étais déjà trop avancé dans la composition. C'était donc trop tard. Je trouve le travail historique intéressant mais le plus important est de ne pas perdre les personnages, puisqu'il y a quand même une intrigue à respecter. [End Page 230]

SW:

Et pourtant, quand on lit votre adaptation du Cri du peuple1 de Vautrin, on est frappé de voir à quel point vous vous êtes documenté, notamment pour représenter Paris.

JT:

Oui, forcément, on consulte des photographies, comme celles de Marville par exemple, on découvre que certaines rues n'existent plus, qu'Haussmann est passé par là. Et puis on va sur place. Évidemment, la plupart des bâtiments de l'époque ont disparu mais il en reste. Ils sont assez caractéristiques, avec un premier étage aux fenêtres arrondies. Ensuite, on passe au dessin.

SW:

Pourquoi la Commune?

JT:

La Commune m'a toujours intéressé, je tournais autour depuis longtemps, je la raccrochais un peu aux Misérables, à ces fictions monumentales. Et puis un jour, Jean Vautrin, que je connaissais depuis des années, m'a envoyé son bouquin, Le Cri du peuple, pour que j'en fasse la couverture.2 Je l'ai lu et je lui ai dit: "Mais c'est exactement ce qu'il me faut!" Il y a des personnages, on se fiche complètement de leur réalité historique, on les suit au jour le jour, on suit le déroulement de leur vie. C'était ce qu'il me fallait, des personnages, des motivations, qui étaient un prétexte pour raconter la Commune, si possible sans ennuyer le lecteur.

SW:

Dans votre adaptation du roman de Vautrin, il y a ce personnage de Tardy, dont le patronyme est très proche du vôtre. C'est incroyable!

JT:

Là, j'ai gonflé. Vautrin ne parle pas de Tardy avec un "y." C'est Vallès qui raconte, dans L'Insurgé, qu'il fait recopier ses manuscrits par son voisin de palier qui s'appelle Tardy, avec un "y."3 Je ne pouvais pas rater ça.

SW:

Qu'aviez-vous prévu pour la suite?

JT:

Avec Vautrin, on avait prévu d'autres volumes. On voulait garder un certain nombre de personnages, les emmener en Amérique du sud, au Chili, puis revenir. Mais le problème, c'est que Vautrin disait, "Oui, d'accord, mais il faut d'abord que j'écrive le roman." Moi je répondais, "Non, faisons un scénario." Malheureusement, il n'est plus là pour en parler.

SW:

Lorsque vous dessinez, avez-vous besoin d'un contact...

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