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Reviewed by:
  • Voyager dans l'invisible. Techniques chamaniques de l'imagination by Charles Stépanoff
  • Émile Duchesne
Charles Stépanoff, Voyager dans l'invisible. Techniques chamaniques de l'imagination. Paris, La Découverte, 2019, 464 pages.

Spécialiste du chamanisme sibérien, Charles Stépanoff est maître de conférence à l'École pratique des hautes études à Paris. Ayant réalisé une thèse de doctorat auprès de Roberte Hamayon, Stépanoff s'est d'abord intéressé à la pragmatique rituelle des chamanes Touva de Sibérie du Sud en adoptant une perspective cognitive. Cet aspect de son travail a fait l'objet d'une monographie publiée en 2014. Son plus récent ouvrage Voyager dans l'invisible. Techniques chamaniques de l'imagination est une enquête beaucoup plus ambitieuse puisqu'elle propose une analyse qui fait la synthèse des pratiques chamaniques de Sibérie. Cet examen est basé sur les enquêtes ethnographiques de l'auteur, mais aussi et surtout sur une revue de la littérature ethnographique classique, majoritairement produite en russe, et sur un travail d'analyse d'artefacts trouvés dans différents musées. Le travail de synthèse de Stépanoff l'amène à s'intéresser plus particulièrement à ce qu'il nomme les « techniques de l'imagination » des chamanes (c'est-à-dire le rêve, les hallucinogènes, les rituels, les costumes, les tambours, etc.) pour diviser le chamanisme sibérien en deux grandes tendances: le chamanisme hétérarchique et le chamanisme hiérarchique.

Sur le plan de la théorie, Charles Stépanoff aborde l'imaginaire comme un outil pour accéder à la perspective de l'autre, humain ou non humain. Pour l'auteur, l'imaginaire n'est pas opposable au réel et doit être compris comme une forme d'interaction avec le monde, réalisée sur le mode mental et souvent exécutée de façon prospective. Dans le contexte de la chasse, l'imagination se dresse au fondement des rapports aux animaux et agit « comme un organe sensoriel supplémentaire nous permettant de nous relier aux mondes non humains » (47). Pour analyser les phénomènes reliés à l'imaginaire, Stépanoff propose une typologie organisée autour de deux critères: la richesse de l'amorce et la capacité d'action du sujet (54). Lorsque les amorces sont riches, l'auteur parle d'imagination guidée (voir un film, écouter une histoire, etc.) et, au contraire, lorsqu'elles sont pauvres, il propose de parler d'imagination exploratoire (faire des projets, inventer une histoire, etc.). Quant à l'implication du sujet, elle se décline en deux autres formes d'imagination: l'imagination contemplative (lorsque le sujet est passif, comme lors de la lecture d'un roman) et l'imagination agentive (lorsque le sujet est actif, comme lorsqu'on joue a un jeu vidéo). Les deux critères se croisent et une activité imaginative peut être décrite, par exemple, comme étant guidée et contemplative. Ce système de classification des pratiques reliées à l'imaginaire est proposé par Stépanoff dans le but d'aborder les écologies de l'imagination associées aux différentes traditions culturelles, un peu à la manière de l'écologie des relations proposée par Philippe Descola (2005).

L'apport majeur de ce livre est la distinction qu'il propose entre chamanisme hiérarchique et chamanisme hétérarchique. Pour l'auteur, cette distinction représente deux écologies de l'imagination distinctes dont la différence fondamentale se situe au niveau de la délégation des pratiques imaginatives. En effet, dans le chamanisme hiérarchique, le chamane a la posture d'un spécialiste autorisé par la collectivité: il prend en charge les pratiques reliées à l'imaginaire chamanique au nom de sa communauté. Dans le chamanisme hétérarchique, la prise en charge de ces pratiques est beaucoup plus diffuse: il s'agit d'un « monde où il existe un continuum de compétences entre spécialistes et non-spécialistes et où les positions sont réversibles » (154). Ces deux types de chamanisme s'opposent également par des pratiques et des institutions...

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