- La fabrique du viol by Suzanne Zaccour
Avec La fabrique du viol1, la juriste féministe Suzanne Zaccour propose un outil accessible et pertinent pour « déraciner le viol »2. L'autrice y procède d'une part, du point de vue de ses implications pour les victimes et les femmes,3 et d'autre part, du point de vue des bénéfices structurels qui profitent aux hommes. Ensuite, elle s'attarde à la notion de consentement. L'ouvrage est divisé en trois parties : les victimes4, les violeurs5, et le consentement. Cet essai fondé sur une importante revue de littérature a pour qualité de rendre compréhensibles des notions juridiques et académiques hermétiques et, de ce fait, propices à l'instrumentalisation6. L'autrice montre en quoi les perspectives mentionnées sont indispensables à la réflexion sur le viol et la culture du viol7. L'argument principal et qui traverse l'ouvrage renvoie à l'importance de croire les victimes lorsqu'elles dénoncent leurs agresseurs, et de concevoir le viol non pas comme un fait/une violence isolée, mais comme un fait imputable à une culture, à laquelle participent tous les hommes, directement ou indirectement. En cela réside l'aspect fondamentalement transformateur de cet ouvrage. [End Page 410]
De l'importance de croire les victimes
Premièrement, tant l'omniprésence des violences sexuelles dans notre société que l'absence d'intérêt des victimes à mentir, renvoie au caractère 'ordinaire' de telles violences et à la nécessité de les penser dans une perspective systémique, où tous les hommes sont concernés. Avant tout, il est incontournable de croire les victimes lorsqu'elles dénoncent. Cette affirmation est non seulement supportée statistiquement8, elle l'est aussi par les conséquences d'un refus collectif d'accorder notre confiance aux victimes de violences. Nommément, la figure de victime « non crédible » sert les intérêts des agresseurs auxquels nous permettons collectivement de violer dans l'impunité. Les hommes ont intérêt à s'en prendre à ces « non crédibles »; cela amoindri leurs chances d'en subir les conséquences judiciaires et autres. Par ailleurs, la rhétorique de la crédibilité renforce l'idée voulant que le viol soit lié au désir sexuel : il n'en est rien, celui-ci découle d'une volonté de contrôle et d'« humiliations imposées par le violeur en quête de pouvoir »9.
Si les femmes en posture de privilège(s) subissent un ressac du fait de dénonciations10, « [a]utant considérer que la femme autochtone sans-abri qui se prostitue et consomme des drogues est carrément hors-du-droit »11. Les personnes trans12, les femmes racialisées, autochtones ou composant avec un handicap sont davantage susceptibles de subir des violences sexuelles13, et a fortiori en tant que victimes « non crédibles »14. L'interaction des différents systèmes d'oppression fait que toutes ne [End Page 411] sont pas égales vis-à-vis des violences et adopter une compréhension féministe et intersectionnelle de la culture du viol est incontournable. Ainsi :
le viol demeure un problème genré dont la solution doit être centrée sur les voix des femmes et des personnes trans qui en sont les premières victimes. Il demeure essentiel de comprendre comment différentes oppressions (sexisme, racisme, cissexisme, classisme, capacitisme…) s'entremêlent et se renforcent mutuellement. Un homme trans qui vit des violences sexuelles parce qu'il est trans est évidemment dans une position différente de celle de l'homme cisgenre.15
La crédibilité, telle qu'évaluée dans le cadre d'un procès, est ainsi propre à ce contexte où de potentielles conséquences sont liées au processus civil ou criminel16. Cela participe de la détermination d'une 'vérité' comprise dans une logique juridique positiviste. Or, la vérité 'en droit' n'est pas une vérité absolue, et manipuler une telle norme pour discréditer collectivement une victime...