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Reviewed by:
  • Le Roman de Gilberte Swann. Proust sociologue paradoxal by Jacques Dubois
  • Tomasz Swoboda
Dubois, Jacques. Le Roman de Gilberte Swann. Proust sociologue paradoxal. Paris, Éditions du Seuil, 2018. ISBN 9782021370584. 224 p.

Après son Pour Albertine. Proust et le sens du social, qui a fait date dans les études sociologiques proustiennes, et d'autres ouvrages qu'il a consacrés à la dimension mimétique et collective de l'œuvre littéraire, dont Les Romanciers du réel. De Balzac à Simenon ainsi que Stendhal, une sociologie romanesque, Jacques Dubois, professeur émérite de l'Université de Liège, revient sur les pas proustiens avec un essai qui, de nouveau, met au centre de cet univers romanesque une figure féminine. Cette fois, il s'agit de Gilberte—qui s'appelle, rappelonsle, consécutivement, Swann, de Forcheville et de Saint-Loup—, qualifiée ici de "seul personnage un peu classique du roman, le seul à connaître également une ascension progressive" (130). Toutefois, plus que sous l'égide de Gilberte, la réflexion de Jacques Dubois se développe sous celle du paradoxe, principe essentiel, aux yeux du chercheur, de la sociologie proustienne car "chez Proust, c'est la singularité parfois extrême de l'être ou du 'cas' qui est révélatrice de normes collectives" (10).

Pour ce qui est du rôle des femmes dans les changements sociaux illustrés par [End Page 232] À la recherche du temps perdu, il a été déjà analysé avec brio par Catherine Bidou-Zachariasen dans son Proust sociologue. De la maison aristocratique au salon bourgeois où la disciple de Pierre Bourdieu évoque la "prévalence féminine parmi les personnages les plus actifs du roman, et masculine parmi ceux qui sont plus agis par les événements" (17). Cette vision met en question les représentations dominantes à propos de la femme du dix-neuvième siècle, et résulte de la prise en compte de l'importance de l'espace mondain où les enjeux de pouvoir ne sont aucunement moindres que dans celui des affaires ou dans celui de la politique. Jacques Dubois, de son côté, loin de se concentrer sur Gilberte—dont la progression inscrit l'héroïne et son histoire dans la tradition du "roman de formation façon XIXe siècle" (129)—met l'accent plutôt sur le mouvement incessant des personnages sur le plan social ainsi que sur toutes sortes d'inversions que ceux-ci opèrent tout au long de leur carrière.

Or, partant des observations ponctuelles d'un Jean-François Revel ou d'un Vincent Descombes sur "un flair sociologique exceptionnel" de Proust, Jacques Dubois a recours non seulement aux fondateurs de la science sociologique de l'époque—Tarde et Durkheim en tête—, mais aussi au "sociologue d'occasion" qu'est Edmond Goblot, afin d'étudier la position originale de l'auteur de La Recherche quant à l'analyse du social. Et si les critères de "barrière" et de "niveau," proposés par Goblot pour décrire le caractère fermé de la bourgeoisie moderne et l'esprit égalitaire qui y règne, s'appliquent parfaitement à la "famille combraisienne" du narrateur, ils ne font que mettre au jour tout ce qui déroge au principe des castes, en l'occurrence les attitudes de Charlus, de Swann ou de Saint-Loup. Ce sont ces trois personnages qui incarnent, respectivement, "une sociologie poétique," "une sociologie amusante" et "une sociologie paradoxale" de Proust.

Ainsi le baron peutil être qualifié par Dubois d'"un Gabriel Tarde de terrain" (59). On connaît bien l'importance de celui-ci pour la pensée sociologique de Proust. Centrée sur le principe d'imitation, la réflexion du professeur à Sciences Politiques et au Collège de France correspond si bien à certains aspects du monde proustien que, jointe à la connaissance personnelle attestée entre les deux hommes, elle a amené maints chercheurs à en faire une référence incontournable des études sociologiques proustiennes. Or, si Jacques Dubois ne néglige pas cette influence, il y ajoute d'autres références sociologiques, résolument anachroniques, afin de voir la manière...

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