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  • Avoir peur: Insécurité et roman en Afrique francophone by Alexie Tcheuyap et Hervé Tchumkam
  • Isaac Joslin
Tcheuyap, Alexie, et Hervé Tchumkam. Avoir peur: Insécurité et roman en Afrique francophone. Québec, PU Laval, 2019. ISBN 9782763744223. 292 p.

L'ouvrage intitulé Avoir peur: Insécurité et roman en Afrique francophone, coécrit par Alexie Tcheuyap et Hervé Tchumkam, traite de la question de l'insécurité collective des populations vivant dans des conditions sociales de précarité, et ce, à travers une lecture précise et nuancée de romans policiers et de récits de criminalité d'écrivains provenant de l'Afrique francophone postcoloniale. En s'appuyant sur la philosophie sociopolitique de Michel Foucault, Pierre Bourdieu, Giorgio Agamben, ou encore Paul Ricœur, cet ouvrage observe, de manière érudite, les inégalités systémiques des sociétés contemporaines, spécifiquement au niveau du fonctionnement des éléments judiciaires et policiers. Dans le contexte africain, cette critique s'exprime dans les [End Page 222] écrits de théoriciens tels que Frantz Fanon, Achille Mbembe et Ambroise Kom, et permet une approche analytique polyvalente des forces qui construisent les catégories identitaires de la criminalité et de la légitimité politique et sociale. Surtout, au regard du mouvement mondial "Black Lives Matter," cet ouvrage de Tcheuyap et Tchumkam s'avère novateur dans sa manière d'interroger la tension qui se creuse entre récits fictionnels et représentations du vécu actuel des populations marginalisées par les institutions dominantes du pouvoir. Ils l'expliquent ainsi dans l'introduction: "Sans prétendre à une quelconque exhaustivité, nous partons de l'hypothèse centrale selon laquelle dans les pays dont parlent les œuvres de fiction étudiées, c'est l'État qui crée l'insécurité en déployant les leviers d'une politique qui épouse les contours de celle qu'identifie Giorgio Agamben" (6). C'est dans ce sens que cet ouvrage prête un intérêt global aux questions de la gestion des crises dans des conditions politiques de domination et de désinformation. Dans un tel contexte, les récits policiers fonctionnent comme des portraits intimes d'un système politique et juridique souvent corrompu et occulté par des régimes totalitaires.

Suivant un axe transnational qui traverse librement les frontières des pays africains, du Maghreb à l'Afrique centrale et occidentale subsaharienne, les œuvres principales étudiées dans Avoir peur incluent les romans de Janis Otsiemi, Moussa Konaté, Achille Ngoye, Driss Chraïbi, Modibo Sounkalo Keita, Yasmina Khadra, Jean-Roger Essomba, Mohamed Mbougar Sarr, Rachid Boudjedra, Ousmane Diarra, et Mongo Beti. L'atout principal de cette focalisation transnationale est de vouloir démontrer que, malgré les différences régionales, il apparaît toutefois, dans les productions textuelles du Gabon, du Sénégal, du Mali, de l'Algérie et du Cameroun, certains traits communs dans le déploiement des récits de fiction qui servent à caractériser et à éclairer la figure et le fonctionnement critique de "l'écrivain africain postcolonial" (269). Selon nos auteurs, celui-ci serait chargé de la tâche de mettre en scène ce qui résiste à la représentation—notamment les mécanismes de corruption, de surveillance, de résistance politique, religieuse, culturelle, ou autre dans les différents contextes nationaux et régionaux—tout en évoquant avec sensibilité les particularités de chaque situation pour permettre une consommation populaire. L'intérêt que prêtent les études socioculturelles et politiques au genre du polar tient à ce que celui-ci montre les deux côtés d'une seule histoire: celle d'un crime qui se dévoile à travers une enquête juridique. Et, dans un contexte où la "justice" sème la terreur et l'insécurité, ces doubles récits criminels et policiers constituent des représentations allégoriques de l'État postcolonial en Afrique. En outre, la popularité de ces récits réside dans le fait que le genre policier ou polar diffère des représentations romanesques de l'Afrique dites "réalistes," sans pour autant abdiquer une certaine responsabilité face au réel. En d...

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