Abstract

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Dans Tunisie: Une démocratie naissante, mais pas pour les LGBT, documentaire produit par SHAMS, la première association LGBT de Tunisie à avoir obtenu un visa d'activité le 18 mai 2015, de jeunes Tunisiens gays témoignent des humiliations et des violences physiques et psychiques qu'ils ont endurées durant leur incarcération pour délit d'homosexualité dans la Tunisie postrévolutionnaire. Le documentaire a été entièrement financé par l'association tunisienne SHAMS. Cet autofinancement a un double objectif: d'une part, résister au "pink washing," autrement dit à la nouvelle mission civilisatrice occidentale qui prétend sauver les gays musulmans de leur religion et de leur culture et, d'autre part, éviter les accusations de traîtrise dans un contexte politique où l'homosexualité est perçue comme un virus occidental introduit après la révolution de 2011 par l'Union européenne pour détruire l'Islam. En s'appuyant sur le travail de Michel Foucault, de Joseph A. Massad et d'Olfa Youssef sur l'homosexualité en général et sur le monde arabe en particulier, cette étude montre non seulement l'interférence, dans ce documentaire, du discours médical et religieux colonial dans le système du droit pénal tunisien contemporain, mais aussi l'émergence d'un nouveau langage de résistance, qui s'inspire à la fois de la tradition de l'amour mystique dans le soufisme, du discours des droits de l'homme et du mouvement LGBT occidental. De ce documentaire et de la controverse sur les droits individuels des homosexuels en Tunisie et au-delà, on peut tirer trois conclusions: tout d'abord, c'est le châtiment de l'homosexualité et non pas l'homosexualité qui est une importation coloniale, ensuite le discours identitaire hétéronormatif, xénophobe, misogyne et hypermasculin qui a émergé après la révolution de 2011, loin de provenir du Coran, est une simulation du sacré qui sert à légitimer l'ascension au pouvoir d'une nouvelle classe bourgeoise ayant des intérêts sociaux et économiques étroits avec la Turquie et les pays du Golfe et enfin, malgré la répression, la lutte des hommes gays pour l'égalité citoyenne rencontre moins d'opposition que la marche des femmes tunisiennes—quelle que soit leur orientation sexuelle—pour la citoyenneté entière et complète. L'homosexualité, en effet, n'est pas une menace pour le système patrilinéaire sur lequel le droit successoral dans la charia est fondé, comme en témoigne l'opposition féroce des islamistes à l'égalité des sexes dans l'héritage et leur surprenante acceptation de l'homosexualité à condition qu'elle soit limitée au domaine privé, aussi bien dans leur discussion du rapport de la COLIBE sur les libertés individuelles de 2018 que durant les élections présidentielles et législatives de 2019.

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