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DONNER, CHRISTOPHE. Vivre encore un peu. Paris: Grasset, 2010. ISBN 978-2-24677901 -8. Pp. 190. 14 a. Elias, patriarche de la famille Chamoun, est impotent et déraille complètement . Il rend la vie infernale à ses proches avec ses exigences incessantes et sa mesquinerie naturelle qui réapparaît lors d’éclairs de lucidité. Elias a cent quatre ans, tout au moins le suppose-t-on, car l’exil, les guerres successives, les perturbations familiales n’ont laissé aucune trace de sa date de naissance, quelque part en Argentine avant que ses parents ne se réinstallent au Liban. Toute l’existence d’Elias s’est déroulée de façon étriquée et parcimonieuse, infligeant à sa femme Farah et à ses enfants son avarice tyrannique. Dans leur rancœur, Farah et certains membres de la famille ne cachent pas leur impatience à le voir mourir: “Nous prions tous les jours pour que (le Seigneur) te libère de cet homme” (108), confient à Farah ses deux sœurs. Par contre, ses enfants, bien que tout aussi exaspérés, lui prodiguent mille attentions affectueuses, pour qu’il “continue à vivre à la maison, éternellement” (42). Le vieillard n’a d’ailleurs aucune intention de mourir, il semblerait même qu’il vise à battre le record de longévité. Et il y réussit admirablement . Son égoïsme foncier l’a fait œuvrer toute sa vie à sa préservation, économisant ses gestes et ses efforts, comptant ses pas et ses verres d’eau chaude, ne faisant jamais d’excès. Il mâche lentement, longuement une nourriture “monacale” qui fait dire au narrateur qu’à “la vitesse où il mange [...] le vieux ne va pas mourir tout de suite” (61). Pour sa femme et ses enfants qui ne l’ont pas connu dans sa jeunesse, il a toujours été vieux, trop vieux même, donc pourquoi mourrait-il maintenant? Il n’a plus d’âge, “on le vénère déjà comme une créature surnaturelle” (118). L’auteur-narrateur, qui est le gendre d’Elias dans la réalité, est aussi l’un des personnages de cet ouvrage en partie autobiographique. “Monsieur Christophe”, comme l’appelle avec déférence le vieillard francophile, déploie son regard ironique, mais aussi chaleureux, sur les petites histoires de la famille Chamoun et le quotidien pitoyable de ce vieillard tour à tour odieux et attachant, répugnant et comique. Il essaie de comprendre ce qui se passe à l’intérieur de cet être épuisé qui oscille entre le caprice, la sagesse et le gâtisme. Que ressent-il, se demandet -il? Angoisse ou plénitude? Confiance ou indifférence? Regrets ou soulagement? Le narrateur l’observe dans le contexte culturel d’une famille arabe de classe moyenne, très unie, exemplaire même, la religion maronite “vissée au corps”, et profondément marquée par les événements politiques qui ont dévasté le pays. Il saisit admirablement l’atmosphère confinée de l’appartement de Beyrouth, baignant continuellement dans la pénombre, réduit à l’espace du vestibule d’entrée, abri dérisoire des quinze années de guerre où l’on craignait que des éclats d’obus et balles perdues traversent les fenêtres. De façon inévitable, la narration se déroule sur fond de l’histoire douloureuse du Liban, particulièrement celle de la dernière “grande guerre”, fruit du conflit arabo-israélien et des luttes intestines entre les Libanais eux-mêmes, et bien avant, celle qui a poussé les Libanais à essaimer aux quatre coins du monde tout en restant fidèles à leur terre tant aimée. Le récit aborde aussi les divergences sociales et ethniques du pays dont la noire Hanna, dite “l’Indienne”, aide-soignante d’Elias, est une illustration. Récemment arrivée d’Éthiopie par l’intermédiaire d’un passeur escroc, elle fait partie de la classe des nouveaux ‘esclaves’, employés à-tout-faire méprisés et généralement exploités. Et en arrière-plan, figurent les rivalités religieuses qui mettent en péril la minorité chrétienne dont les Chamoun font partie. 784 FRENCH REVIEW...

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