Du domaine des Murmures by Carole Martinez (review)

discours à leur mari sur “l’égalité des sexes” et qui ne sont que “des snobinardes oisives” qui “n’auraient pas osé” prendre part aux “vrais combats sociaux pour les droits des femmes” (27), fait un peu sourire. Plutôt qu’un “mentir vrai”, ce livre nous offre une vérité mensongère parce que cette Colette que nous reconnaissons dans le roman avec son bagage compliqué d’énorme talent et d’aventures amoureuses tout aussi énormes, c’est quand même une Colette signée vingt et unième siècle. University of North Carolina, Charlotte Marie-Thérèse Noiset MARTINEZ, CAROLE. Du domaine des Murmures. Paris: Gallimard, 2011. ISBN 978-2-07013149 . Pp. 201. 16,90 a. Dans le Comté de Bourgogne, à la fin du douzième siècle, Esclamonde, belle jouvencelle de quinze ans, refuse d’épouser Lothaire de Montfaucon que son père, le Seigneur des Murmures, lui destine. Elle n’éprouve que répugnance pour ce chevalier grossier, coureur de tournois et trousseur de serves. Elle sait qu’une fois mariée, elle ne sera qu’une matrice chargée d’assurer la descendance de son époux. Pour échapper à ce destin, elle décide de se donner à Dieu. Le jour du mariage, devant la noble assemblée, Esclamonde dit ‘non’ et se tranche l’oreille comme gage de sa foi. C’est alors qu’un premier miracle survient: un agneau bêlant entre dans l’église, se lovant contre Esclamonde, preuve de l’accord scellé entre la nouvelle Agnès et les cieux. La jeune fille réclame que sa dot serve à lever une chapelle aux Murmures, avec une cellule où elle sera à jamais enfermée. La souffrance et la rage du père humilié sont extrêmes envers sa fille tant aimée et ce “Dieu dévoreur de vies” (30) qui lui a pris tous ses enfants et son épouse. Mais il doit se soumettre au vœu de la jeune fille. À l’aube de sa mise au tombeau nuptial, alors qu’elle jouit pour une dernière fois de sa liberté dans la forêt domaniale, un homme se jette sur elle et la viole. De cet acte sauvage résultera la naissance d’un enfant mâle confondant l’emmurée ‘vierge’ qui ne sait comment expliquer l’événement. Le père venu s’enquérir de l’enfant l’emmène au château pour quelque temps puis le rend à sa mère après lui avoir percé les paumes des deux mains. Par ce geste sacrificiel, Esclamonde comprend que le Seigneur des Murmures révèle sa paternité. Malgré l’angoisse qui l’étreint, elle décide de garder le silence et de laisser croire au miracle. L’apparition surnaturelle de l’enfant, qui de plus présente des stigmates christiques, intensifie sa renommée. Une foule nombreuse en quête de conseils et de protection divine se presse devant la fenestrelle de la nouvelle ‘sainte’, y compris le puissant archevêque Thierry II et Lothaire, son ancien fiancé, maintenant ‘converti’ à la chasteté et à la poésie courtoise. Pour que son père se rachète de son crime, Esclamonde le convainc, malgré son âge avancé et ses devoirs seigneuriaux, de se joindre à la troisième croisade contre le Sultan Saladin. Pour le bonheur des lecteurs, la recluse a des visions qui lui permettent de suivre les faits et gestes de ses proches partis libérer le tombeau du Christ. Ainsi voit-elle clairement leur voyage tortueux vers la Terre Sainte, la débâcle des croisés devant Saint-Jean-d’Acre, la noyade de Frédéric Barberousse, les rois Richard et Philippe-Auguste venant à la rescousse et son père mourant dans la luminosité du soleil de Palestine. 424 FRENCH REVIEW 86.2 À travers son personnage d’emmurée, l’auteur met en scène un Moyen Âge vivant et plausible. Il n’était pas inhabituel à l’époque qu’une jeune fille noble refuse le mariage pour ‘épouser’ Dieu et choisisse le silence à jamais dans son tombeau. Esclamonde, de sa cellule, parle et éprouve le monde dans sa chair et dans son esprit. Elle confronte...