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FLEM, LYDIA. La reine Alice. Paris: Seuil, 2011. ISBN 978-2-02-102819-5. Pp. 305. 19,50 a. Psychanalyste, romancière et membre de l’Académie Royale de Belgique, Lydia Flem a beaucoup écrit sur Freud et le mécanisme des rêves. Dans son dernier ouvrage, elle emprunte à l’univers fantastique de Lewis Carroll pour nous mener dans l’envers infernal du miroir, là où l’absence de repères crée l’inquiétude. Dès la première ligne, la narratrice nous propulse dans le singulier: “Quelque chose avait basculé” (11). Alice, le personnage principal, est passée de l’autre côté du miroir, entraînée dans le cycle ravageur de “la reine des maladies” (242), celle qui foudroie le corps et poudroie l’image de soi. D’abord, elle se rebelle mais l’ennemie est implacable, alors il faut traverser, sans mode d’emploi et sans guide, les contrées effrayantes du tain. Au départ, Alice n’est qu’un pion perdu sur le grand échiquier. Comment retrouver un semblant de contrôle face au mal absolu? Puisque la réalité s’avère périlleuse, autant pénétrer à tâtons dans l’imaginaire et confronter d’autres normes. L’autre côté du miroir est peuplé de personnages insolites et d’objets hétéroclites. Là, Alice rencontre Cherubino son ange gardien et le Lapin Blanc son médecin traitant qui essaient de la réconforter. L’aimable Ver à Soie la conseille en matière de couvre-chef. Elle sera désormais “la dame aux turbans” (35), s’identifiant aux images de Vermeer, Ingres, et particulièrement à La Fornarina de Raphaël dont les yeux cernés et le teint pâle semblent couvrir un mal secret. Alice a reçu de son amie La Licorne une caméra, un Attrape-Lumière avec lequel elle capte les étapes de la maladie en composant à la façon des Surréalistes des groupements d’objets symboliques, à la fois pour les fixer en souvenirs et les neutraliser en natures mortes. La Plume l’autorise à écrire, donnant corps à sa souffrance tout en refusant de nommer la maladie afin de mieux la tenir à distance. L’érudit cynique Le Grincheux se gausse des velléités d’écriture d’Alice et ne la ménage pas plus que la terrible Reine Rouge qui s’est emparée de son corps par la chimio, ou encore Lady Cobalt qui préside aux irradiations. Alice a tout perdu. Sans cheveux, cils ou sourcils, son visage se dissout dans une image floue qu’elle ne reconnaît plus. Manipulée, abandonnée dans les couloirs par les Contrôleurs comme “un paquet oublié [...] dans une consigne de gare” (135), elle souffre dans son humanité. Un patient doit patienter. Dans ce décor de Fellini, elle tente de se souvenir des belles choses précisément parce qu’elles sont éphémères. L’expérience de la maladie décuple l’intensité des choses et le désir de vivre. Alice invoque Shéhérazade, celle qui suspend le Temps et trompe la Mort par le langage. Suivant le modèle de L’inventaire de Prévert, Alice reprend possession de sa parole à travers jeux de mots, euphémismes, séries et comptines, associations d’idées, jurons du capitaine Haddock, liste des stations de métro. Tout est matériau pour reconstruire le familier. Se maquiller est un autre point d’attache dans son long naufrage. Quand la douleur lui donne quelque répit, elle feuillette un de ses auteurs favoris. Par ailleurs, le Blanc Lapin lui prescrit une page de Proust avant le coucher. “Longtemps je me suis couchée de bonheur”, ironise-t-elle (61). À bout de souffle, Alice découvre “la quintessence de soi” (45), l’indestructibilité de son être fracassé. Présenté à la troisième personne, ce texte est aéré, ténu, plein d’humour, de force, de dignité. Son style vif et raffiné interpelle le lecteur par ses questions et dialogues. À l’orée de la Forêt de la Convalescence, La Licorne nous rappelle que “le présent est...

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