In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

DESVAUX, ÉMILIE. À l’attention de la femme de ménage. Paris: Stock, 2011. ISBN 978-2234 -06945-9. Pp. 187. 16,50 a. L’intrigue de ce livre qui a été nominé pour le Goncourt du premier roman se déroule, semble-t-il, en France dans une propriété isolée de province. Le texte se présente comme la confession d’une veuve de trente-sept ans hantée par les souvenirs de son époux, de son père, de sa mère, tous décédés récemment. La narratrice est attirée par la jeune cousine de son mari qui s’est installée dans la maison, et une relation de désir et de haine se développe entre elle et la jeune femme. Le livre raconte la progression de cette relation sensuelle jusqu’à son dénouement dramatique dans lequel la maîtresse de maison finit par assassiner sa jeune amante après avoir fracturé l’espace privé de son bain. Le crime se fait en conclusion d’une scène érotique qui révèle aussi le secret des abus paternels subits autrefois par la narratrice. Le père avait d’ailleurs coutume, lorsqu’elle était jeune, de la caresser en lui susurrant à l’oreille l’histoire de sirènes qui s’échangeaient leurs laits. Ces sirènes contenaient au fond de leurs “fentes” une perle noire et inhumaine de cruauté par laquelle le père évoque peut-être la froideur de sa propre femme. Ce trope protéiforme de la femme-poisson sert de support à l’exploration des troubles du sexe, des complexités du secret, et des abîmes du crime. La narratrice assassine son amante à la recherche du mystère de cette perle noire, dans la quête d’une possession absolue dont ne restent pourtant que l’inhumain et le vide. Exploration sensuelle et littéraire tissée de souvenirs, de traumatismes, de fantasmes, de mythes et de référents fétichisés auxquels on se voit volens nolens contraint de participer, l’écriture manifeste à la fois beaucoup de finesse et de brutalité. Elle offre des descriptions tour à tour crues et oniriques où les histoires de Diane, de Barbe bleue, des héros antiques, de Mélusine et des sirènes se mêlent comme autant de repères potentiels permettant de retenir le lecteur dans cet univers inquiétant. Le récit est autant porté par les personnages que par les décors matériels, souvent fantasmés et fétichisés, retenus plus pour leur valeur symbolique et sensuelle que pour leur effet de réel. Comme tout roman, celui-ci assigne une place à son lecteur. D’emblée, dans l’adresse du livre et le titre même, celui qui lit est identifié à cette “femme de ménage” à la fois méprisée et seule confidente de l’action, habituée à recevoir les ordres et à faire de l’ordre dans les affaires de l’occupante de la maison: “Je vous considère en quelque sorte comme un prolongement de ces lieux. Votre visage austère convient bien à ces couloirs, à ces pièces” (100). Une des caractéristiques de ce texte, d’ailleurs, est de confondre dans un “vous” omniprésent le lecteur potentiel et le personnage de la femme de ménage par une double adresse qui prévoit, surcode et dicte nos réactions. Le récit est à la fois lisse et baroque, littéraire et visuel; il n’épargne jamais à ses lecteurs les détails d’une scène trop crue, faisant de nous en quelque sorte les complices muets du crime à la fin du livre. Ce dernier est lui-même défini dans cette structure autoréférentielle: si le lecteur est identifié à la femme de ménage, le livre devient quant à lui l’analogue de la maison, avec ses couloirs, ses salles d’eaux, ses secrets, ses voix, ses murmures et ses esprits. Finalement, il se voit refermé et reste vaquant: “Je vous laisse la maison vide, le jardin, tout le reste. Ce n’est plus désormais la propriété de personne” (182–83). Le traitement psychologique de cette...

pdf

Share